Journal de Louve #50 La place pour une baleine stellaire
Je fais mon lit. Tous les jours, dans le même ordre.
D’abord j’ouvre les yeux sur l’armoire qui grince, un jour elle s’ouvrira sur un autre monde. J’ouvre la fenêtre. Je parle aux chats et aux oiseaux pour qu’ils fassent bon ménage. Je déplie mes vêtements, c’est là que je fais mon lit. Je délaye du lait d’avoine dans une tasse de thé vert.
J’écris toujours habillée. Hier, un renard de bonne humeur m’a rapporté un peu de son butin. Je le grignote à l’aube.
La poésie a ceci de particulier : elle dit d’autres façon ce que l’on pourrait dire en prenant le train, c’est ce qui la fait penser d’une autre façon. J’ai besoin de murir, je vois. Si j’étais un fruit, ma peau ressemblerait plutôt à une coquille. J’envie les tournesols épanouis en plein jour. J’attends mon tour tout en espérant un jour cesser cette lubie, sinon je l’attendrai toute une vie.
J’ai parfois besoin d’agiter mes doigts sur des surfaces stériles. Les tables et les écrans. Ces derniers me déversent les égos de tout le monde, enfin de tout le monde qui constitue le mien. Le déroulement artificiellement joie me hérisse, je jalouse, c’est un peu fait pour ça. Vouloir faire mieux et vendre plus. Je voudrais arrêter.
C’est un effort quand de déplie mon pouce, je réchauffe mon thé vert. En fait je veux trouver la place pour autre chose. Ranger ma maison. Quand j’ai coupé mes cheveux, c’était pour cette idée. Faire de la place pour autre chose.
La poésie a ceci de particulier : quand on écoute les sons, on trouve d’autres mots que ceux d’habitude pour dire la même chose. Une porte s’ouvre et l’on suit des racines, on s’aperçoit alors qu’on ne change plus des mots pour dire similaire, on transforme tellement que l’on pense autrement.
Je veux trouver comment aller plus loin. Echanger ma colère d’avoir tout à donner et rien à vendre contre la sensation d’avoir fait les bons choix.
Je veux trouver comment m’appliquer sans insister à enfoncer les portes. Mais je me vois souvent parcourir ce couloir où elles sont toutes fermées et l’odeur me saisit : les relents d’oppression.
Ce soir j’ai peur que le renard ne vienne pas. Et j’ai la chair de poule d’imaginer que les idées enthousiastes ne se produiront pas. Je deviens proie d’une mise à mort. Comme si ne pas réaliser saccagerait l’idée, la ferait souffrir comme une petite souris que l’on tord dans ses mains avant de la tuer. L’idée peut exister même s’il ne vient pas et me rendre joyeuse jusqu’à la prochaine fois. Avant la fête … Il y a dans mes placards de multiples objets dont je ne me sers pas, il n’attendent pas que j’en fasse quelque chose, ils existent déjà. Je pense à eux et cela me rend créative et joyeuse. Ceux-là sont à garder, j’aime comme ils me font vivre.
Si le renard ne vient pas, m’aime-t-il toujours ?
Vous l’avez je suis sûre, aussi, cette angoisse trouble au bide, persistante, profonde. C’est la question que vous vous posez. Qui fait comme moi qu’au lieu d’apprivoiser, vous étouffez parfois l’être que vous aimez.
La poésie a ceci de particulier : elle m’a fait comprendre que je l’aime, ça veut dire que l’idée qu’il existe me rend vivante, me rend heureuse et quand il ne vient pas, je sais que lui aussi pense à moi où qu’il soit.
Lorsque j’ai tout rangé, qu’il n’y a plus d’autres bruit que les oiseaux et les chats qui s’entendent à merveille. J’ai de la place, tellement de place. Pour une baleine stellaire dans un champ de fleurs sauvages.