Journal de Louve 2024

Journal de Louve #51 Naïve cruelle

Je sors de la librairie. Soixante-neuf euros de livres. Autour de moi pour l’instant personne ne sait que Louve lit. C’est la Saint Valentin.

J’ai eu envie de rendre service, de faire plaisir, de plaire, je ne sais où ça s’arrête. Etre agréable aux autres. C’est une plus value et l’un de mes instincts vils. Moi aussi d’ailleurs, on me donne des coups de mains. On fait pour moi et je vous dois bien ça. D’autres me sont agréables, mais eux savent marcher seulement sur le trottoir. Sans la main de personne, les hurlements contenus battent frénétiquement du pied, et me mettent en danger.

Je suis en plein la rue. Mes livres sous le bras. Le bruit clamés d’ébats impudiques résonnent jusqu’à se perdre dans le caniveau. Je vois au balcon suivant qu’il traine ses yeux sur mes hanches qui se baladent de gauche à droite selon la Santiag qui marche, mais je dois continuer. Ce qu’ils cherchent c’est la proximité.

Je rentre dans ma voiture avec « Les messages des plantes totems », « Dérives » de poésie, « La société est en nous » et « Le nouvel an des sorcières ». Je claque la portière, la vitre lui laisse pénétrer ce que je fais. Je suis tellement moi-même. Une fourmilière entière parcourt mon dos de bas en haut. Menace, insécurité, instinct de survie, ou le signe que j’ai basculé chez les insectes rouges. Je suis trouble et devenue une fourmi mauvaise parce que ma robe, ma main dans mes cheveux et le fait de sourire et de rendre service.

Ce qu’ils confondent c’est prendre soin et avancer sa bouche charnue nauséabonde pour se servir les autres avec une pelle à tarte ou même avec les mains. Moi aussi je confonds, je dérobe et déclenche. Ce qui me fait chuter quand je ne veux m’y attendre. Dire qu’on me l’a appris n’est plus en vigueur, c’est à moi d’apprendre autre chose qu’être la fourmi rouge.

Je pense que faire de ma vie une fête sous les yeux des jaloux, c’est ce que j’ai à faire. En même temps que ma naïveté devient un déni et que déni devient cruel. Il y a pourtant du vrai, j’essaie de m’en convaincre et parfois j’en suis sûre. Dans le bureau quand les blagues fusent, je sais ce qu’elles disent et je reste une mue. Je suis une indisciplinée de moi-même, je ne respecte pas, je bafoue moi aussi l’équilibre du prendre soin pour un moment romanesque à cracher dans mon cahier, pour qu’on me regarde et qu’au milieu de la rue, je crois un moment rassurée être la plus importante, ce qui n’est ni souhaitable, ni intrinsèquement souhaité. C’est un mécanisme, un subterfuge. Un instinct carnivore.

Prise à mon propre jeu, je croyais faire à moi cette chanson joyeuse sexiste qui dit que je maîtrise la situation. Sauf que les crocs de Gueule de loup se resserrent sur ma patte, au milieu de la ville, prise sans être éprise et mes livres à la main. Etre vue soudain est devenu trop de risque, je voudrais une tanière où me cacher de son vif appétit. Je me souviens alors qu’on me l’avait bien dit : la rue ne m’appartient pas.

Je ne suis plus rassurée car il est trop rivé pour qu’à présent je ne sois qu’une passante. Ce soir il s’en souvient. Etre Louve cruelle c’est croire qu’être elle-même c’est souffler sur les braises, faire la belle pour les femmes et se faire arracher les entrailles par des hommes plus forts qu’elle. Il ne resterait plus qu’il monte dans la voiture et se raconte pendant les heures qui nous mèneraient au piège. Personne ne sait que Louve lit, lui s’en fout, il a la dalle.

Aimons-nous vivants dit la radio, mais pas les crocodiles qui font que je m’amuse au péril de ma paix et ce à quoi je tiens. C’est aussi ma défense et lorsque l’on m’insulte dans une gorge étranglée je dirais aux aigries « amusez-vous, amusons-nous ensemble ». Cela semble indécent, c’est moi dans leur regard qui semble incandescente. J’aimerais ne pas avoir besoin d’être tant approuvée.

J’aime la poésie qui se lit dans un ordre.

J’aime puiser le drame et le tordre, même quand ça le torture, juste pour un poème. M’entête à n’en avoir que faire des conséquences, même si ce sont des tâches ou encore des blessures roulées dans la poussière.

Je n’aime pas les mains sales d’avoir touillé dedans, que je n’essuierai que sur la couverture mat, une fois que j’aurais tout terminé d’écrire.

Je fais mes aveux littéraires en regrettant les meutes que j’ai déjà quittées, en sortant du dualisme et ses polarités. Je n’ai pas à choisir l’écriture ou la vie, je n’ai pas à vivre le drame que j’écris. Je retourne à mon soir, en robe si je le veux, apprenant encore l’humilité sincère, caressant d’une main ma voix la plus mauvaise, demain elle partira quand à la pleine lune, je regrouperai des loups pour calmer les esprits.

Photographie : Stayhereforu

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *