Journal de Louve 2024

Journal de Louve #47 Ne pas déranger

Qui s’érige indemne malgré les bousculades ?

Il va de soi que nos sillons se creusent, je suis moi-même crevasse à la voix éraflée. Elle devient parfois rauque comme pour dire Ne pas déranger. Parfois, vous en avez assez fait.

Je suis pourtant aussi tapissée de velours. Je me voyais comme celle qui mettait le désordre. Mais je suis aussi celle qui s’applique à conforter, s’y applique un peu trop. Je connais un renard qui sait mieux que quiconque énoncer les nuances et les complexités. Ses pores les absorbent. Je ne sais pas encore ce qu’il en fait. Peut-être rien. Tout n’est pas fait pour être utile. C’est quelque chose qu’oublient vraiment ceux qui décident pour d’autres.

Je suis cheffe de meute. Moi aussi maintenant je décide pour d’autres. Je n’en suis pas indemne. J’ai le pelage fourni pour traverser l’hiver mais j’ai les crocs parés derrière la surface. Sans doute pour cela qu’un ours de la forêt beaucoup plus fort que moi m’a reproché de ne pas être honnête. C’est vrai puisque je garde tant de choses dans un grand sac où personne ne peut voir. Parfois je les jette à la gueule de quelqu’un, guillerette, pensant faire un cadeau.

J’ai appris à mes dépends que n’est pas cadeau ce qu’on veut soi. J’ai gardé la rancune pour me méfier encore, et maintenant j’oublie de faire la part des choses entre ce qui doit être laissé en route et ce qui m’est atout, ce qui mérite de réessayer et ce qui me fait juste perdre mon temps.

Je joue cheffe de meute intransigeante, solitaire, autant que celle qui protège et qui dessine des cartes vers les idéaux avec sa patte dans la neige drue.

Lorsque j’écris, ne pas déranger. Lorsque je m’emmitoufle dans un nid confortable, ne pas déranger.

On ne demande pas aux loups d’exercer un sens moral. Ils ne s’imaginent pas réussir leur vie, être la meilleure version d’eux-mêmes. Qu’ils soient le fléau, le confident, l’agressif, le furtif ou le blanc, il n’y a que clique d’humains rustres et orgueilleux pour y trouver à dire.

Lorsque je pense à marée haute, ne pas déranger.

Une jeune chatte noire danse dans mes blessures. J’ai la tristesse ouverte, j’en suis même ébréchée.

Je n’ai pas lu luxe de m’extraire de morale. Il faudra faire avec ceux qui volent dans mon sac, en me félicitant pour les trésors qu’ils trouvent sans proposer de pacte, avec tout ce que je tasse au fond et qui bondit sans contrôle. Puis-je voir comment accompagner la meute dans ses décisions ? Comment aimer renard et savoir le chérir lorsque je dors sans lui ? Comment devenir sauvage en décidant l’allure et ce que ça signifie ?

J’ai oublié de vivre chantait un homme avant, tant mieux, j’espère faire de même. Oublier de me dire que je fais les cents pas, que je cherche un abris pour couvrir mes fêlures, que c’est une belle journée pour les écureuils roux. Je veux oublier l’attente, laisser tomber l’honnête et le fourbi du sac, je me présente en regardant dans les yeux. J’estime que ça suffit. Tant que j’avance avec délicatesse, que je veille sur ma meute, moi non plus, je ne veux pas déranger.

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