Journal de Louve #46 Jouer toute seule
Je pense que le mur avale presque tous mes bruits. Je suis un silence pour les voisins. A peine doit-il y avoir parfois un bruissement, une vibration. La machine à laver à l’essorage doit pouvoir faire frémir des objets déposés sur une table, de l’autre côté de la cloison.
Ici pourtant mes envies cavalent. J’ai des feutres étalés du lit au tapis, des livres commencés, des idées empruntées qui parlent en même temps. Cette vie c’est comme une fête qui démarre sans arrêt.
J’ai découvert jouer toute seule. C’est doux comme le ventre d’une chatte tigrée. Maintenant j’en ai trois. C’est doux comme la passion qui s’étale en peinture, sur une éternité s’il le faut, et comme les lignes que je parcours sur ta main en recommençant par cœur en refrain.
Jouer toute seule ça me donne la figure d’une murmureuse. J’entends chacun de mes gestes. J’avance en chaussons ou en lignes de cahier.
Je rentre d’hier, de l’amour avec toi. Je suis chez moi que je te retrouve où que je rentre. L’hiver reste à la porte. Ma maison est faite d’un toit qui touche le ciel, j’en suis sûre depuis que j’ai regardé et que je n’en ai pas vu la cime. Depuis que j’ai regardé, j’ai vu par contre chaque jour aussi transformer ma peau, mes ongles et ceux qui habitent avec moi. Au contraire de ce que l’on pense, il n’y a rien à craindre de la nuit, nous sommes ses seuls monstres. La nuit est immobile, nous n’y risquerons rien. C’est le jour qui nous prend, qui sur son passage bouscule ce que l’on tient. C’est le jour qui nous vole, nous trahit et qui nous donne aussi. J’ai voulu le changer. Ce jour qui nous fait espérer, danser et puis mourir. Il y a des rayons de soleil qui inondèrent ma chambre que je n’oublierai pas tant ils furent cruels.
Je vois dans ses hasards tout aussi bien les joies. Je les vois comme des loutres quand je m’y mêle à peine, je les vois comme des louves comme furtives et sauvages, quand j’ai le cœur déjà lourd de les voir disparaître. La nostalgie chez moi a toujours de l’avance, nous en avions parlé.
Heureuse d’espoir ou de lucidité, je prends soin de mes chattes tigrées, de ton prochain sourire et de mes prochains récits. Jouer toute seule c’est casser un vase et savoir recoller les morceaux dans le désordre avec des paillettes bleues, savoir pleurer dans ses propres bras en pensant aux moments où je pleure dans les tiens. Je joue c’est un synonyme de je me réveille, j’écris ou je pars en voyage.
Rendez-vous partout où la vie t’enthousiasme.
Bonne année,
Louve