Journal de Louve 2024
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Journal de Louve #52 Lutte contre les grains de sable
Je lutte contre les grains de sable, contre la colère, le rance, l’amertume. Quand j’ai peur qu’il se fâche, je choisis d’ignorer. Quand j’ai peur de blesser, je me griffe au visage pour garder paupières closes. Pour ne rien prononcer, je m’en mordrais la langue. Ca envoie les efflues de la marée qui monte. A vomir ma tristesse, il ne reste que honte. Pourtant j’avais déclaré n’aller plus à la plage. Je m’embourbe désormais dans le sable pâteux. J’en ai plein les chaussures et comme le sable est sale elles sont bonnes à jeter. Je lutte contre les grains de sable, je ne peux les compter. Tandis que je suis…
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Journal de Louve #51 Naïve cruelle
Je sors de la librairie. Soixante-neuf euros de livres. Autour de moi pour l’instant personne ne sait que Louve lit. C’est la Saint Valentin. J’ai eu envie de rendre service, de faire plaisir, de plaire, je ne sais où ça s’arrête. Etre agréable aux autres. C’est une plus value et l’un de mes instincts vils. Moi aussi d’ailleurs, on me donne des coups de mains. On fait pour moi et je vous dois bien ça. D’autres me sont agréables, mais eux savent marcher seulement sur le trottoir. Sans la main de personne, les hurlements contenus battent frénétiquement du pied, et me mettent en danger. Je suis en plein la rue.…
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Journal de Louve #50 La place pour une baleine stellaire
Je fais mon lit. Tous les jours, dans le même ordre. D’abord j’ouvre les yeux sur l’armoire qui grince, un jour elle s’ouvrira sur un autre monde. J’ouvre la fenêtre. Je parle aux chats et aux oiseaux pour qu’ils fassent bon ménage. Je déplie mes vêtements, c’est là que je fais mon lit. Je délaye du lait d’avoine dans une tasse de thé vert. J’écris toujours habillée. Hier, un renard de bonne humeur m’a rapporté un peu de son butin. Je le grignote à l’aube. La poésie a ceci de particulier : elle dit d’autres façon ce que l’on pourrait dire en prenant le train, c’est ce qui la fait…
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Journal de Louve #49 Dans la chambre, en chaussures
Elle dit à la radio l’intelligence artificielle c’est regrettable. L’homme a dessiné tout un livre avec. Il ne savait qu’écrire et ne pouvait pas depuis tout ce temps mettre son histoire en images. En trois semaines il a tout créé et il vend beaucoup son livre. Elle donne les chiffres et dates de parution. Il reçoit aussi beaucoup de commentaires qui l’insultent. Elle ne cite pas d’insultes. Je ne sais pas ce que j’en pense. D’abord, soulagée de me permettre de ne pas avoir besoin d’en penser quelque chose. Au fur et à mesure que je roule en voiture, elle continue à raconter l’histoire du sabotage de l’art par Midjourney.…
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Journal de Louve #48 Vague à l’autre
Je suis du soir plus que du matin. Longtemps mes rêves distillent leur substance floue, brouillent ma clairvoyance. Je me sens une autre, par vagues, une créature qui se réveille sans savoir qui elle est, ni ce qu’elle a fait dans cet autre monde. Les tasses s’entrechoquent. Les odeurs m’imprègnent. Deux doses. Café moulu. Je retourne en chaussettes jusqu’à la chambre. Me sers dans la penderie, cherche à quoi ressembler. La nuit je dois être barbare ou assassine. Quand le jour commence, mon lit révèle toujours des souvenirs de brutalité. C’est mon secret. Je voudrais trouver refuge dans le bruit des autres. Atténuer mes vagues, n’avoir qu’à écouter. La douceur,…
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Journal de Louve #47 Ne pas déranger
Qui s’érige indemne malgré les bousculades ? Il va de soi que nos sillons se creusent, je suis moi-même crevasse à la voix éraflée. Elle devient parfois rauque comme pour dire Ne pas déranger. Parfois, vous en avez assez fait. Je suis pourtant aussi tapissée de velours. Je me voyais comme celle qui mettait le désordre. Mais je suis aussi celle qui s’applique à conforter, s’y applique un peu trop. Je connais un renard qui sait mieux que quiconque énoncer les nuances et les complexités. Ses pores les absorbent. Je ne sais pas encore ce qu’il en fait. Peut-être rien. Tout n’est pas fait pour être utile. C’est quelque chose…
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Journal de Louve #46 Jouer toute seule
Je pense que le mur avale presque tous mes bruits. Je suis un silence pour les voisins. A peine doit-il y avoir parfois un bruissement, une vibration. La machine à laver à l’essorage doit pouvoir faire frémir des objets déposés sur une table, de l’autre côté de la cloison. Ici pourtant mes envies cavalent. J’ai des feutres étalés du lit au tapis, des livres commencés, des idées empruntées qui parlent en même temps. Cette vie c’est comme une fête qui démarre sans arrêt. J’ai découvert jouer toute seule. C’est doux comme le ventre d’une chatte tigrée. Maintenant j’en ai trois. C’est doux comme la passion qui s’étale en peinture, sur…