Journal de Louve #55 Minuit moins toi
Je descends, meurtrie, l’escalier de maison. Les pieds dans la poussière. Avant minuit, tu es doux avec moi, tu vas me rapporter ma pantoufle de verre.
Je me demande pourtant parfois si tu me préfères riante ou bien blessée, les soirs de bal où nos angoisses mêlées ont éclaboussé les murs. Des personnes étaient là. Je suis effrayée de mes fausses notes lorsque je sais qu’elles te seront servies à boire. Car je sais que tu juges les tiennes comme un crime et que je ne pourrai pas en parler autrement.
Mes faiblesses, tu les récupères toutes, sans que je n’ai eu le temps de les laisser traîner. Tu m’enfonces dans les yeux, active mes sanglots. Mes joues sont déjà éraflées, ça tu ne l’as pas cru.
Ce que je me demande en fait, c’est combien de moi je peux oublier pour me nicher dans toi. Et tu me donnes aussi la réponse à ma plaie : la personne idéale, comment je l’imagine ? Elle a bien des pantoufles de verre que tu lui as offertes, mais elle diffère de toi par bien d’autres aspects. Je commence à regarder de près.
Quand je monte l’escalier de la rue retrouvée, des vêtements nichent les marches et le plancher. L’eau a fini de frémir et lorsqu’elle est servie, je vois quelqu’un me voir, j’aime quelqu’un qui m’aime. Elle me prend dans ses bras, roses, et sa tresse me tombe sur l’épaule, la tendresse en descend pour venir me rejoindre.
J’ai compris en rentrant dans tes bras qu’il est minuit moins toi. C’est l’origine des traces trop lourdes sur le torse et des complications. Tu manques partout où tu n’es pas, je me glisse dans ton jugement, malhabile à trop être ce que je crois que tu veux que je sois. Je me pousse à épouser tes pensées, crisse les dents, les roues et les phalanges.
J’ignore si tu garderas toute ta vie ton attrait pour les routes sévères. Il vaut mieux pour nous que je te laisses voir vraiment les choses que je crois, sans en faire une conquête. Peu m’importe, en attendant, que je m’endormes sans toi et que les années passent. La seule fin heureuse est celle où tu viendras me retrouver pas parce que j’aurai obéi mais parce que même nos affronts nous séduiront de manière très sérieuse. Depuis le temps que j’en parle, je deviens ma gardienne, toi tu n’as pas ce rôle puisque tu as déjà celui du renard. Je dois te faire confiance, persévérer dans ta poitrine pour te laisser l’audace de m’apprivoiser. Ton pelage est doux avec moi, même après minuit, je te retrouverai ; car tu me sais si vive et tu me reconnais, quand je suis vraie.
Ici commence l’aventure de la gardienne.
Photographie Arnie Chou