Rituels littéraires

Corpus #14 Vies d’artistes

Je suis passionnée d’art et de littérature. Cela va de soi, je plonge avec appétit dans les romans qui mettent en scène des artistes.

Les visions de l’art et des vies d’artistes aujourd’hui sont plurielles : de l’artiste maudit, torturé, incompris qui doit souffrir pour créer, les croyances sur le fait que l’art véritable doit s’abstenir de s’acoquiner avec l’argent, les œuvres de happening qui font dire ça, j’aurais pu le faire

Les œuvres littéraires qui mettent en scène des personnages artistes participent à façonner nos représentations.

Voici une sélection de rituels littéraires sur le sujet :

Rituel 1 – « Pars où tu veux mais reste vivant »

Zéro Gloire – Pierre Guénard

Il y a des artistes qui aiment explorer les frontières entre les mondes et toucher du doigt les limites. Ce sont celles de la vie et de la mort que le personnage d’Aurélien tente d’éprouver dans Zéro Gloire.

C’est un style jeté, un langage cru. Les scènes se succèdent, c’est vif, elliptique et posé brut.

Il en faudra du temps, des baiser, des envies, des cadavres pour qu’Aurélien trouve à réconcilier ses contradictions.

Le personnage qui se traîne au fil des pages ramène à tout ce que l’on traverse, ou ce qui nous traverse, sans être vécu.
Extérieur à soi, on n’incarne rien. On a vaguement un goût un peu désagréable en bouche, celui qui nous rappelle qu’on renonce trop à ses attentes pour avaler la poussière.
Pour nos cerveaux qui ne pédalent pas assez vite pour saisir toute la complexité du monde qui se déroule devant nous, le court-circuit est parfois l’option, au risque de manquer d’autres facettes : celle notamment de se sentir vivant.

A toi aussi de jouer lorsque la mort et l’inertie te guette.

  • Munis-toi de deux feuilles de papier.
  • Avec la technique de ton choix (écriture, dessin …) exprime ton ressenti morne et gris sur l’une d’entre elles, et ta manière d’incarner la vie sur l’autre.
  • Trouve ensuite comment les relier, créer un pont pour passer de l’un à l’autre. Aussi, il sera moins accablant d’avaler la poussière car tu sauras te faire confiance pour trouver le mouvement et changer de perception.

Rituel 2 – « Ca fait combien de temps que tu cherches ? »

24 fois la vérité – Rapha¨ël Meltz

Il y a des gens qui doutent et que le doute blesse. Tout comme Aurélien, l’écrivain de 24 fois la vérité arpente des couloirs absurdes. Ce sont ceux de toute entreprise qui peut lui proposer des piges. C’est pour les courses, pour le loyer, pour les escort girls, pourquoi pas.
Il laisse s’installer l’idée agressive d’être partie prenante de cet ensemble.

C’est une fiction qui dit bien la réalité en somme, dans des histoires croisées entre la sienne et celle de Gabriel, plongé dans le développement du cinéma.

C’est une représentation de l’art travail. C’est ainsi qu’il s’imbrique à la vie. Comment appréhender la création quand on a surtout besoin de passion et de 384.04 euros ?

Comment déambule-t-on au fil des journées quand on a dans la poche le stylo, le caméscope et dans la tête l’obsession de s’en servir.

Je filmais parce que c’est principalement la chose que je fais dans la vie.

Peut-on percevoir autrement le monde que par la lorgnette, de voir des plans sur les paysages et les gens ? Peut-on cesser d’orienter son langage, de le penser, le mâcher, le tenir dans ses mains, lorsque son métier est d’écrire ?

La rencontre est par l’écran, la couleur de son teint sous la lumière du chapiteau et trouver le cadrage parfait. On fait l’amour visuel, on croit aux scénarios.

Ce livre dessine ce que c’est que de n’avoir besoin de rien d’autre que d’écrire ou de filmer, mis à part peut-être de la vérité.

  • Cherche dans ta vie où l’art surgit, jaillit et te croise sans s’annoncer. Là où il survient, où tu ne l’as pas choisi. Réalise une liste, un livret, un recueil pour collecter ces rencontres fortuites et saisissantes.

Rituel 3 – « Le monde est mystérieux »

Crazy Brave – Joy Harjo

Incarner sa vie avec puissance, sentir son corps vibrer quand on chante, quand on danse, quand on aime, quand on souffre.

L’art n’est même pas refuge, on ne s’y enfouit pas devant les tremblements. L’art fait trembler autrement, accorde le sens, donne l’appui sur lequel si le corps ne trouve pas sa place, l’âme peut se poser.

Il est à la fois l’élan et le guide et ne peut être dissocié aucunement du fait d’être. C’est le lien universel avec le vivant.

Toi aussi, projette-toi dans l’art-vie.

  • Va à un karaoké et chante en fermant les yeux devant une salle comble.
  • Passe une longue après-midi d’été à dessiner au rythme de tes respirations, jusqu’à tomber de sommeil.
  • Plonge-toi dans l’écriture d’un roman et n’arrête que jusqu’à ce que tu aies terminé.

Rituel 4 – « Pourquoi supprimer des détails ? »

Bleuets – Maggie Nelson

  1. Et si je commençais en disant que je suis tombée amoureuse d’une couleur.

Bleuets, c’est la question fondamentale de l’existence, en fragments, inachevée comme elle, et profonde.

Le bleu devient le vêtement de la quête. De manière poétique et synesthésique, l’écriture trace sur cet aplat les bribes de sa conscience, des prises de notes, des vides cruciaux.

Entre légèreté et gravité, on se promène dans l’ordre. Les pensées numérotées de Maggie Nelson parcourent la douleur, l’érotisation des nuances de couleur et de vie et tentent de grimper le long d’un mystère tout en gardant consciente que l’expérience restera vaine, inaboutie.

  • Regarde en silence un aplat, passionne-toi pour une couleur jusqu’à la mêler à ta propre existence. Lorsqu’elle deviendra partie intégrante de ton identité, tu ne verras plus qu’elle, car l’altérité n’est qu’une autre forme de soi-même.
Mick Haupt



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