Journal de Louve #37 Faire semblant c’est mentir
Amoché, mon corps se tortille pour entrer quelque part, pas trop inconfortable, où l’on voudra de lui. Dans les moments où la cascade vomitive s’entretient, je me vois comme une greffe sur le monde, une greffe qui ne prend pas.
Je cherche l’harmonie, jusqu’où c’est encore moi qui m’abime dans ce décors sinistre ? Y-t-il un moment ou même plusieurs, soyons audacieux, où faire ma part me fera voir un merveilleux manège et non le cimetière des êtres éclopés.
Nous sommes des personnes blessées. Je dissimule.
- Que je me sens trahie, que j’ai très envie de me recroqueviller dans une grotte tant que suis effrayée d’être la mise en cause de mes propres peurs.
- Que j’ai en moi un feu qui ne veut pas s’éteindre, même si j’ai tout fait pour, d’autres l’ont fait aussi. Je le ravive quand je pense que j’ai le droit de vous dire, non, je n’ai pas envie.
- Je ne sais jamais où je vais trop loin, où je vais trop près de moi-même, où ma colère structure, où elle montre seulement une ferme intolérance, où elle protège aussi.
- Je me dis le vent va tourner et je n’y crois pas vraiment. Si je peux m’émerveiller parfois des surprises insoupçonnées que m’apporteraient le vent, je dois surtout apprendre à me servir de mon propre gouvernail.
- Je tente de dire par dessus l’épais brouillard de vos vies : non, je n’ai pas envie. Je refuse d’apprendre à me battre, d’accepter qu’il le faut, qu’est parfois nécessaire le fait de blesser un animal déjà fragilisé parce qu’il commence à mordre.
J’entends de nouveau une source couler. Quand je parle ainsi autant par les images, ça fait comme une musique. Je me revois avec une queue de cheval et une jupe en jean à trottiner dans la maison, je me revois brosser le petit poney en plastique moucheté de confettis de couleurs. Je me voyais comme ça. Mais les choses ont changé et le temps d’avant, c’était le temps d’avant.
J’espère que les amours, avec toi, ça ne passe pas. La mue semble interminable et je suis toujours étourdie sous mes propres mobiles. Il serait sensé que cela dure l’année d’un cycle complet, un passage de saison, un pas sage à chacune de cette nouvelle ère, jusqu’à l’anniversaire. Je dois changer d’image, apprendre à piloter, mais la guerrière, décidément, je ne la digère pas.
Faire semblant c’est mentir, j’avais trouvé ça, ce titre d’un livre chez un bouquiniste. Si l’on cache autant de choses c’est parce qu’elles ne peuvent toutes êtres révélées en même temps. Faire semblant c’est apprendre, parfois ça ne se voit pas. Je vais imiter les combats que j’ai vus, d’où l’intérêt de bien choisir ce à quoi on assiste, et je les transformerai. Je commence aujourd’hui à façonner l’image d’une femme que je ne connais pas encore, je m’entraînerai à l’être et puis j’ajusterai. Et comme ça, entre faire semblant et jouer avec le réel dans mes mains, je serai autrement prête à gravir ce qui me semble aujourd’hui insurmontable.
Photographie Jayr Alvarez