Journal de Louve #44 Miroir Blanc
J’ai une hésitation à être quand je retrouve la mémoire, peut-être la peur encore de marcher sur des morceaux de verre, que je ne vois pas.
C’est mon côté théâtral.
Je sais que je n’aurai qu’à la fin une idée de la saveur de vie. Et je n’aurai rien rangé.
A la croisée des chemins, je ne veux plus parler de moi tant cela m’enferme dans un monde fait des petits plis de ma peau qui me recouvrent. Je ne m’autorise plus non plus à parler des autres tant ils m’échappent et si je les observe, étrangère à toute scène, je me refuse encore de les interrompre.
Je n’ai toujours pas accepté de briser le miroir avec les dents. Je n’ai toujours pas accepté d’instincts carnivores au grand jour. Je tiens encore les brides.
Toi tu as balayé certains morceaux de verre et tu es plus doux que ce que tu dis de moi. Ta façon d’appeler ma voix que tu veux entendre sans sourdine m’effraie parfois, j’imagine mille chevaux lancés à vive allure, peut-être que trop rapides, il m’abandonneraient derrière moi. Pourtant je tiens. Mes battements suivent quand je t’explore. Tout va trop vite et je sais qu’un jour je le verrai comme une écrasante vérité.
En attendant, les jours de solitude passés à observer des chats s’étirent. Je me demande ce qu’ils et ce que je fais là, à ne savoir remplir l’espace même en écartant les bras. Je me demande ce qu’il y a à ressentir le poids du temps, celui de ton corps et de construire une maison ta voisine. Est-ce que c’est pour s’occuper que l’on finit par faire vraiment ce que l’on imaginais ?
Nous, on était tellement amis et tellement curieux, on s’est assis un moment après avoir ramassé des pommes de pin. Et en se regardant sans savoir trop quoi faire se proposer d’ennui Et si on essayait ? Désormais je suis prête à parier sur toi l’éternité si on l’avait un jour.
J’aurai l’hésitation à être tant que j’aurai besoin de t’invoquer partout où je vais seule, de te mettre dans mes textes et dans mes absolus. Pas encore résolue à faire ma route. Le bénéfice du doute, c’est regarder dans un miroir blanc. C’est ce que je me dis et je me trompe car tu es mon allié.
Je m’invente des jeux qui répondront à mes questions, je m’accrocherai aux réponses jusqu’à ce qu’elles m’écorchent ou qu’elles ne me plaisent plus. Le trop grand vide dans ma poitrine peut accueillir mon souffle mais aussi l’incertain. Je me demande encore qui gagnera. Toi tu réponds celui que tu nourris comme si je devrai inlassablement rouler mon rocher même lorsqu’il m’écrase.
Comme tu me traites d’hédoniste et c’est vrai, je vais faire mes aveux : je me défile en riant parce que si je ne pouvais fuir, je ne rirai pas. Ce qui m’accompagne en fait, ce sont les violons qui grincent quand je leur intime de se taire. Je n’ai pas de substance. Je trimballe mon orchestre pour donner l’impression que je suis plus que moi. Puis je grimpe et dévale avec tout ce bruit qui fait aussi en passant des nuées de poussière.
Je parlais à des femmes près du feu, pour m’encourager et pour faire bonne figure ; la figure de celle qui a confiance en elle et qui n’a pas besoin d’avoir confiance en d’autres. Je disais que lorsque j’aurai épousseté toute la suie, je trouverai. L’une d’elles m’a dit des ailes dans le dos, je ne les avais pas vues. Elle a dit aussi et si tu arrêtais de chercher ?
Nager dans les eaux troubles des lendemains …
Au lieu de vouloir te bannir comme les autres, je compte continuer à m’adresser à toi. Merci pour tes murmures renard, merci pour des genoux. Tu as vu sous les plis et la volonté d’harmonie sous mes hésitations. Tu es l’âme qui pourra m’aider. Tout est dans ma forêt. Je peux vivre en même temps là où je suis refuge et où j’ai à gagner encore du terrain.
Photographies : Lucas Pezeta et Tasha Kamrowski