Les chroniques,  Rituels littéraires

Corpus #1 Les rituels littéraires de l’hiver

A Noël, j’ai reçu une carte cadeau qui me permettait d’acquérir quelques livres à la librairie itinérante Le serpent d’étoiles. (Si ce n’est pas une magnifique preuve d’amour, ça ! 😉 ) J’ai donc guetté l’apparition du camion bleu sur le marché de Périgny, et en suis ressortie avec une bonne petite pile de précieux ouvrages. Voici mes recommandations d’emploi, à adapter librement à votre convenance !

Le rituel de légèreté

Comment écrire un livre de voyage ? – Frédérick Marryat

  1. Gagnez votre chambre, installez vous confortablement sur votre lit. Ajustez l’oreiller, ramenez la couverture à la hauteur qui vous convient.
  2. Laissez ronronner votre chat et écoutez comme vous avez le temps.
  3. Laissez-vous gagner par l’amusante poésie de ce livre extrait (c’est un passage du recueil Olla Podria de l’auteur, qui rassemble diverses nouvelles, extraits de journal, articles et brèves pièces de théâtre). Riez silencieusement aux répliques du dialogue, critique de la mode des récits de voyage du début du XIXème siècle. « Mais écrivez donc ce voyage ! », « Vous savez bien que de ma vie, je n’ai jamais quitté l’Angleterre », « Peu importe, écrivez ».
  4. Consignez dans un carnet tous les anti-conseils qui vous aideront sans aucun doute à écrire votre propre récit de voyage à la mode, car comme le dit Barnstaple, « les meilleurs livres de voyage sont ceux écrits de chez soi, par ceux qui n »ont jamais mis un pied sur le ferry de Calais ». Mention spéciale pour ma part à l’invention du caniche, qui, je dois l’avouer constitue l’élément indispensable d’un récit de voyage à la mode qui se respecte !

Le rituel de puissance

Sorcières, la puissance invaincue des femmes – Mona Chollet

  1. Le rituel commence alors que vous êtes encore dans le camion bleu. Demandez à la libraire son avis sur ce best-seller. « Non, me répond-elle. Je ne trouve pas que ce soit un coup commercial. » Elle a trouvé le propos approfondi, et, est elle-même surprise et agréablement, du succès de ce livre. Il semble valoir le coup.
  2. Installez vous chaque jour dans votre canapé, un plaid bien chaud sur les genoux, avec une bonne tasse de thé « Hiver Austral » pour lire quelques pages (Si vous n’avez pas de thé « Hiver Austral », un autre à votre goût pourra sans doute faire l’affaire).
  3. Parcourez l’histoire de la figure de la sorcière et donc de la femme. Laissez cheminer en filigrane vos pensées, vos croyances, vos ressentis. Laissez-vous vous questionner sur votre indépendance, et ce qui émanerait de vous si vous vous sentiez tout à fait libre des conventions. N’hésitez pas à garder à l’esprit tout au long de votre lecture que vous pouvez modifier dans votre vie tout ce que vous souhaitez ajuster en le changeant en vous, par les croyances que vous vous êtes choisies et par votre attitude. Laissez, si cela vient, cette agréable sensation de puissance et de possession de sa destinée vous gagner. Si vous en ressentez le besoin, notez vos projet et vos ambitions.
  4. Notez également les multiples références qui attisent la curiosité et donc il est mention dans le livre pour en apprendre plus : le travail de l’artiste Louise Bourgeois qui exprime comment s’exerce le pouvoir patriarcal, le film « Le magicien d’Oz » qui propose pour la première fois dans la culture populaire l’image d’une bonne sorcière, ou Ma brillante carrière, film où le personnage de Sybylla éconduit l’amoureux afin de mener sa vocation personnelle, le Ms Magazine ou la revue Sorcières dirigée par Xavière Gauthier, ou encore l’impact de figures féministes comme Starhawk ou Gloria Steinem. Le livre regorge de panneaux indiquant d’autres chemins de l’aventure féministe à arpenter.

Le rituel d’unicité

L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique – Walter Benjamin

  1. Humez tout d’abord l’agréable odeur du papier crème. Gagnez le milieu du canapé pour être exposé.e à davantage de lumière, contemplez les couleurs contrastées de la couverture. Le chat est silencieux aujourd’hui.
  2. Laissez les réflexions aller et venir à propos de l’unicité d’une œuvre, constituée par son ici et maintenant. Prenez conscience que vous êtes également ici et maintenant sans être différent.e de ce que vous êtes et que cela vous confère votre authenticité.
  3. Prenez une gorgée de café aussi noir que l’objectif d’un appareil photo, et demandez-vous en même temps que l’auteur ce qu’induit la reproductibilité d’une œuvre. Ce qui reste, ce qui part lorsqu’elle n’est plus unique. Qu’est ce qui se perd réellement lorsque se perd cette authenticité due à l’existence d’une œuvre unique sans aucun autre exemplaire ? Qu’induit dans notre mode de vie et dans notre rapport à l’art la multiplication des reproductions qui pour Walter Benjamin « remplace l’autorité de sa présence unique par une existence en masse » ?
  4. Enfin, n’hésitez pas à créer des liens entre la reproductibilité des œuvres et la société capitaliste et à envisager de nouvelles voies dans votre rapport à l’art et à sa consommation, car Walter Benjamin l’avait présenti lorsqu’il écrivit ce livre : « Chaque jour se fait plus irrésistiblement sentir le besoin de rendre l’objet possédable. »

Le rituel de transcendance

une araignée, des tagliatelles et au lit, tu parles d’une vie ! – Camille Jourdy

  1. Ouvrez la couverture rigide, entrez dans le livre par les illustrations porteuses d’un sens qui ne vous appartient pas encore. Commencez à lire les premiers mots écrits à la main, comme une incantation « Le cochon d’Inde d’Anna fut retrouvé mort le jour de ses huit ans (les huit ans d’Anna, pas du cochon d’Inde) ».
  2. Dégustez quelques guimauves améliorées (celles qui contiennent des céréales soufflées à l’intérieur), pendant que vous parcourez cet amusant premier chapitre sur l’enfance d’Anna, sous forme de poétique du quotidien.
  3. Découvrez avec une curiosité croissante les chapitres suivants débordant de bribes d’histoires entremêlées, de vies rêvées à l’effort, de personnages qui cherchent avidement à se remplir, de fantasmagories pleines de sens.
  4. Savourez les guimauves, les aquarelles, l’humour et l’émotion sans anticiper la fin de ce moment précieux, l’un de ces instants où absorbé.e.s par un livre il semble qu’il n’y ait plus aucune once de réalité existante en dehors. Ou du moins, cette réalité semble-t-elle totalement échapper à la conscience …

Le rituel d’existence

Qu’est-ce qu’une vie bonne ? – Judith Butler, avec une longue préface de Martin Rueff

  1. Tout d’abord, je vous conseille de commencer votre rituel de manière différente de la mienne. Ne vous laissez pas tromper par la couverture à l’illustration d’un pissenlit innocent d’apparence. Ce livre est empreint d’une philosophie chargée. Quelques notions peuvent être utiles, ou bien, un soudain élan d’audace !
  2. Parcourez d’abord la préface de Martin Rueff, un avant-propos plus dense encore que la réflexion qui suit.
  3. Après cette préparation, plongez au cœur du sujet. En 2012, au moment de recevoir le prix Adormo, l’autrice Judith Butler reformule et actualise une réflexion de ce philosophe notamment en ces termes : « Comment peut-on mener une vie bonne dans une vie mauvaise ? » Si Adorno avait souligné la difficulté à trouver une voie pour « suivre une vie pour soi et en tant que soi, dans le contexte d’un monde […] structuré tout entier par l’inégalité, l’exploitation et les diverses formes d’effacement », l’autrice précise que « la question prend de nouvelles formes dépendantes du moment historique où elle se trouve formulée ». Elle décline ainsi ses pistes de réflexion de ce que serait mener une vie bonne en dehors de la définition de vie bonne comprise comme « une forme de conduire morale individualiste » ou encore d’une expression « contaminée par un discours commercial pour servir le propos de tous ceux qui veulent penser la relation entre la moralité, ou, plus généralement, l’éthique, et la théorie sociale ou économique ».
  4. Laissez fluctuer les questionnements sur l’attribution de la valeur et de la dignité de la vie, sur la légitimité à critiquer ou à déconstruire, voire à se réaliser en dehors de « la vie mauvaise », celle qui définit et distribue les valeurs à travers des modalités de pouvoir.
  5. Réalisez par dessus votre prise de notes, un tas de croquis griffonnés de personnages violets avec des couronnes et des bouches avides censés représenter l’avidité et le pouvoir … ou non, ça c’est peut-être exclusivement ma propre manière de vivre mon rituel.

Je vous fais confiance pour trouver les vôtres ! 😉

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