Journal de Louve #56 Humaine blafarde
Je vais le vendredi soir descendre l’écran à l’aide d’un escabeau. Je n’ai plus qu’à projeter en public ce que j’ai de plus enfoui, ça se fait naturellement. Je ne sais plus parfois lorsque je fais ce que j’aime, si ce que j’ai puisé de mon identité s’est gâché en un rôle. Peut-on s’abîmer, sans l’avoir fait exprès, pour se donner à voir ?
Je vais souvent à la fin m’écrouler des ébats purgatoires. Ce n’est jamais assez car j’ai faim de ta part d’un regard sur moi dont je n’atteins pas, même en tendant mes bras le plus loin que je peux, la substance. J’agrippe tes cheveux, j’aime quand ils m’inondent, traverse mes angoisses en me tenant à ton cou.
Puis je m’endors.
La bombe humaine c’est pour moi cette déchéance enclenchée à chaque fois que je ne suis pas assez rassasiée d’amour.
Je révèle encore mon être tâché, désordonné, après ces soirées, extirpant ma silhouette d’un tableau pastel gras. Je me retire de là, mains barbouillées de couleurs criardes mal mélangées et qui me collent aux doigts. Le ventre embarrassé. Mais peut-être l’issue est-ce de l’apprivoiser. Peut-être aurais-je le privilège d’avoir le plaisir sans le payer. Chanter à l’unisson, sans le payer. Ecrire au comptoir, sans le payer. Faire l’amour, sans le payer. Et me réveiller rose, dans un sweet-shirt en coton, boire de l’eau.
La lumière du matin, si j’y résiste, peut m’agresser. Blafarde et joues à nues, je tente de battre des bras tout en retenant les obsessions coupables qui commencent à mourir. Endormie, ma part d’esprit nocturne ne fusionne pas toujours avec les bonnes personnes. Etonnamment, on peut avoir du désir pour de vrais cons, c’est notre éducation. Je tourne mes poignets endoloris pour me délier de mes prisons. La nuit dernière la prison c’était celle dans laquelle je serais prête à tout si l’on me promet autant.
A l’aide d’une mésange et de boissons onctueuses, sans caféïne, elles est aussi l’alliée qui me désamorce des pulsions affamées à être désirée. La voix a dit à la radio que des oiseaux s’adaptent. Leur corps est plus petit et leurs ailes plus grandes, en quelques générations. Ils peuvent s’envoler plus vite de ce qui les menace et n’ont pas besoin d’autant de ressources pour être résistants.
En goûtant mon nouveau breuvage qui me réconforte, cette-fois sans m’abimer, je me donne, en quelques semaines, le défi de devenir un oiseau.
Photo Jayr Alvarez