Des histoires de vrai

Des histoires de vrai – Toute une vie sans se voir

C’est une histoire de vrai, inspirée d’une histoire, elle-même inspirée d’une autre histoire de vrai.

D’où vient ce sentiment bizarre que je suis seule.

Au chaud ballotée par le train, on arrive à Paris, la bruine sur les lunettes qui me donnent l’air à la fois plus jeune et plus studieux. Au moins, avec, je vois mieux.

Je suis sur la banquette de l’accueil de l’hôtel, au téléphone. Je vivrai bien des heures à t’envoyer quelques mots d’amour tout ce temps que tu es loin.

Paris, partout, c’est trop petit. On est toujours engoncés entre les tables, contre un comptoir, au café, au réveil, dans la douche.

Quand après avoir attendu toute une après-midi, j’aperçois dans la file l’affiche de Toute une vie sans se voir, je tire sur mes manches et piétine le béton. J’ai patienté bien plus longtemps que le temps du spectacle, je me prépare à en profiter puisque rien ne dure.

Un lourd rideau rouge se retrouve tiré fermé, puis enfin tiré ouvert. Nous nous installons, rentrons les coudes pour ne pas déborder sur nos voisins. Je me couvre de mon châle, prête à la berceuse qui va naître. Le théâtre est si petit, un théâtre de Paris, et les autres si près, cela me donne des images qui ressemblent à celles d’un rêve. On dirait un berceau, en plus grand. C’est devant que ça se passe, en bas, là où il y a deux pianos et un grand escalier.

Julie entre en premier, elle va puiser en elle ce qui fait vibrer la peau. Elle sautille et quand Bastien entre, elle sait illuminer la vie, en faire jeu, en faire une joie. Quand tout à coup, rien n’a plus de goût, que tout est épuisé, elle se met au piano. Bastien sort, la lumière s’oublie. Julie dit amoureuse, j’ai peur de l’être et c’est la vie, c’est pas un drame. Ils sont tour à tour dans cette pièce où déjà, ils ne se voient plus. C’est l’histoire de Michel Berger et Véronique Samson, d’Orphée et Euridice, la peur de ce qui se passe heureux au point de toujours l’éviter et le récit de romantiser l’absence qui nous colle au creux du cœur.

Ce qui se passe toujours avec les fantômes dont on tombe amoureux, je le sais, c’est que parfois leur voix nous comble et parfois elles nous amène à la pire agonie. On a tellement tendance à croire que les plus belles histoires sont celles que l’on n’a pas vécues. La berceuse à commencé et c’est comme un avertissement, la vie, c’est cela qui parfois nous attend.

Je suis à Paris sans toi et Bastien chante il manque quelqu’un près de moi. C’est très doux puisque tu ne manques pas. Il y a quelques temps, tu m’as laissé entendre : si tu crois un jour que tu m’aimes, n’attends pas, tu avais préparé le terrain. Un jour, j’ai cru et j’ai pensé à toi. C’est cette fois que j’ai compris qu’aimer c’était être simplement heureuse que tu existes. J’ai chéri le temps qu’on a passé à s’envoyer des images. Aujourd’hui tous les deux, on les anime ensemble.

Je regarde avide du trouble les deux comédiens jouant les prisons d’un lourd secret. L’histoire à l’origine ne m’appartient pas, je ne la connaîtrai jamais. Julie espiègle, puissante, accompagne sa voix qui caresse et qui danse. Je veux jouer à cette expérience de mortelle pensée : je pense qu’elle a menti, c’est la vie et c’est un drame.

Bastien placide est l’eau, contient l’attente dans ses silences, on sait déjà, il n’y a pas de doute, qu’ils ne se reverront pas.

Je me laisse glisser dans la poitrine de son appel Seras-tu là ? A croire que le temps menace, juste le temps du spectacle, j’en ai peur comme si c’était vrai. Je l’imagine l’absence, la sentence des cheveux gris, le besoin pressant. J’y crois pour l’heure, à l’urgence de se revoir. Et j’veux plus rien. Je me laisse sentir ce que ce serait si ton rire m’échappait, si je passais toute la vie à lui courir après. Mais vieillir avec toi est comme un jeu désormais, j’en suis rassurée au moment de mes larmes suspendues. Mes cils frémissent, lorsque chacun, elle, lui, retient sa main au dessus du clavier, contient sa voix. Je ferme les yeux et laisse couler dans le sillon d’une ride quand la chanson reprend.

Elle joue sauvage, insaisissable ; il déploie persévérance. Ils auraient voulu s’apprivoiser, s’envoyer des chansons, ça en est une façon. Pas comme une autre. Ca inclue des costumes, des fossettes et des espoirs agrippés, tordus, défroissés et morts un jour précis, des drames en profondeur, pas en silence, pas toujours.

Je n’ose à peine frémir et laisser percevoir, je me demande ce que tous autres dans le théâtre ou dans notre rêve berceau ressentent. Nous avons tous cette peur si nous l’envisageons, de passer toute une vie sans voir ce pourquoi nous revenons de loin et revenons de tout, peur de vieillir à vide, et c’est pourquoi nous nous faisons croire au sombre de nos chambres et au plus creuses des nuits que nous n’avons besoin de personne. Au contraire pourtant, ce qui nous fait apprendre à aimer, c’est toucher le risque du bout des doigts, du bout d’une voix éraflée par le chahut d’un monde dans lequel personne parfois ne sauras qui nous sommes. Et malgré la peur de pas être compris, aller épouser ce qui y est présent, ce qui vit et célébrer pleinement sans attendre la solitude, l’habitude, nos souvenirs.

Louve

PS : Renard, quoi qu’il arrive à notre amour, pense à moi. C’est la façon d’honorer ces promesses qui tiendront, et qui ne le savent pas encore.

PPS : Merci Julie et Bastien pour ce moment que je contemple déjà s’étioler pour retrouver le plus que je peux la sensation de vieillir et de manquer. Bravo pour tout ce qui est précieux et perdu et que vous avez su ranimer et offrir. Au plaisir de le retrouver.

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