Journal de Louve #43 Accoutumance
Je me sers une tasse du liquide de ta voix. Le corps est chaud, familier.
Les substances stimulantes commencent à faire la course pour monter à mes tempes. Je m’engourdis un peu en t’écoutant parler.
Tu te balances sur une chaise, les bras croisés, le mouvement de tes idées fluctue et je bois tes paroles brunes amères, avec le vrombissement du bruit de la machine, c’est rassurant comme un lundi matin.
L’air nous enveloppe, je me sens bien à la chaleur qui m’imprègne, chaque gorgée me rassure.
Je reverse dans ma tasse de la substance sombre, regardant le halo dru et blanc au dessus danser et moi je fais semblant face à ce contraste dont je ne sais que faire : le dense, la danse, l’aqueux et puis la lymphe, poisseuse et fluide, je me méfie. Je me détourne, laisse la tasse coincée tout contre moi dans un repli sur ma poitrine.
Tu te meus en toi-même et je chute de trop mal observer. Je ne sais rien de ce qui fait que la chaise bascule. Je sais que simplement, lorsque j’aurai tout bu, tout sera de mon fait. Un état d’hébétude imprimé qui entrave ma pensée. Je crois que tu t’es levé, maintenant tu me domines, je n’ai pas eu le temps de dire un moindre mot. Ma bouche est envahie de l’âpreté ambiante, je vois la femme puissante qui réside d’ordinaire à l’entrée de mon souffle, s’échapper farouchement en dehors de l’instant.
Maintenant tu m’empresses, resservant de ma tasse de quoi mieux asphyxier, puisque je le demande. Ensuite l’air épuisée, je n’ai plus rien à dire, je ne pourrais qu’éructer. Ce n’est évidemment pas la bonne chose à faire. Et pourtant le café de ta voix macère, mon estomac se plie et je pense qu’il refuse.
Comme je suis en colère, je voudrais t’envoyer ma tasse à la figure. Puis je comprends, le filtre en effet, toujours dans la machine, dissémine dans mon liquide douteux des épines et cailloux qui sont venus boucher mes sens et mes espoirs. Je ne connais pas l’impact que ceux-ci ont sur toi, moi, ils m’ont étourdie, face au mauvais coupable. Les épines désormais sont nichées dans la chair à l’intérieur de moi. Je sais que tu les vois, je voudrais me cacher. Je commence à trembler, saisis le paquet et les filtres s’échappent, se répandent sur le sol.
Si je bois en silence, c’est parce qu’au fond bouillonnent ces sensations enfantées de principes, je ne suis pas assez bien, tu es trop haut pour moi, je suis l’imposteur de nous deux, j’ai triché, menti, éludé pour t’avoir en assénant les vérités même les moins bonnes à dire, je présente un tableau qui ne me ressemble pas.
Depuis l’embarquée, boire la tasse me noit et la brume obscurcit mes jugements attendus, maintenant perdus au moindre clignement de mes cils, je me sens égarée au point que je présents des vagues submerger notre chambre, inonder ma forêt. Je ne sais pas où je suis, laissée sur place, pour morte, sans doute transie de froid, de lente indécision. Je ne sais pas où aller. Je ne suis pas capitaine, je ne tiens pas la barre.
Je t’ai nommé sans le dire Accoutumance. J’ai suivi tes effluves et je me suis perdue. Je ne dors plus dans mon lit, mais sur un tapis froid, respirant la poussière, attendant que tu viennes et t’en veux d’arriver. Je veux naviguer seule quand cela m’enthousiasme, seulement au matin, quand viendrait le temps de lever l’ancre de ma vie tissée à la poignée de porte de mon appartement, je renonce et retourne enfouir mes affres délicats au fond du café lacrymal, assourdie par le bruit d’une machine entartrée.
Il est huit heures à peine, le soleil encore aura levé ses bras, je lui tourne le dos. Je maudis en prophétie, comme tu l’avais prévu, maugrée mes doutes et m’empoisonne. J’en étais sûre que ça tournerait mal, quand j’ai de la peine, c’est comme un nénuphar qui grandit dans ma voix et les autres alors ne veulent pas m’entendre.
Je me focalise sur la peau de mes mains, la peinture bleue s’écaille. En attendant que la femme dans mon souffle décide de revenir, je vais les laisser faire ce qu’elle savent faire bien. Mes mains façonnent les mots, c’est un pas à la fois. Si le doute m’empoisonne dans un peu de café et les dires d’hier nuit, je suis bien dans mon pull qui peut me tenir chaud. J’invente des chansons inconnues de ce monde, des secrets qui, quand ils prendront envol me serviront de guide pour me faire naviguer, cette fois à ma façon.