Journal de Louve #38 La proie et l’autre imaginaire
Je joue à cache-cache dans les herbes hautes. En ce moment, j’ai tendance musaraigne.
Nécessairement, si je m’éloigne des rives un peu trop longtemps, l’eau et ses souillures que j’avale malgré moi agglutinent mon pelage en petits amas gris.
Pourtant, j’entends le fond de la nature fredonner une chanson que j’ai cru inventer. N’ayant aucun souvenir de qui me l’a apprise, j’ai pensé, prétentieuse, qu’elle provenait de moi. Je crois que je n’ai rien imaginé moi-même, j’ai seulement récolté, ramassé et gardé ce qui me rassurait.
Mes poches sont pleines. A présent j’en suis sûre, l’air vient d’un arbre creux, d’un bébé écureuil, d’un bruissement de feuillages ou d’un croassement. Nous chansons tous ensemble en pensée.
C’est moi qui ai choisi de me charger autant. J’ai pris de la terre et des pierres et j’ai rempli mes poches. J’ai pris ce qu’on m’avait donné enfant, et puis je l’ai gardé, l’angoisse au fond des boyaux que la peur d’être vide.
Musaraigne à la dérive, je m’imagine proie. C’est le début d’un conte où je récupère mon pouvoir magique, celui d’imaginer. Je n’ai plus qu’à laisser déferler plutôt que me noyer les images innées. Plutôt que me débattre, je cherche comment habiter dans mon corps abîmé tous les mondes abimés.
Je suis gardienne, calme, furie aussi, j’attends. Je peux sombrer, me retrouver, j’écoute ma colère, je digère et je veux repartir, je veux courir encore, aller à l’allant des autres découvertes, risques et cascades, lâcher de nouvelles rives, je suis prête.
Les mots performatifs inclinent le courant. Je me retrouve au sec, sur la berge. Le frais de la forêt préservée saisit mes longs cheveux.
Je deviens l’autre imaginaire. Je fais partie d’un tout.
Je suis une femme, un loup, j’ai tissé pour moi une muraille en collier, j’érige ma passion, préserve mon cheminement. Je suis une sirène qui retrouve sa voix, qui oriente les tempêtes en son fort intérieur, et celle qui désormais pourra veiller les rives, recueillir musaraigne quand les saccages sévissent.
Photographies : Stayhereforu et Maria