Journal de Louve #25 Protège moi ou Repousser les crocs
Il est très tôt. J’ouvre la fenêtre. On ne voit pas la différence.
Si j’ai fait des cauchemars, je n’ai plus qu’à prendre le thé avec le marchand de sable. Ou à l’inviter à jouer aux cartes.
Je me coiffe et j’applique
le mascara violet sur mes yeux. En paquets.
Je ne veux pas qu’on croit que je m’applique.
C’est encore la nuit.
Il y a des mots que je supporte mal, qui font vriller mon corps tant ils sont dissonants. On en a fait la liste non exhaustive ensemble, il y en a sans doute auxquels je n’ai pas pensés.
J’ai assez de confiance pour te le dire. Pourtant,
je doute d’être en sécurité de livrer mes horreurs.
C’est fait.
C’est fait avec le goût maintenant de la marée vaseuse. J’ai
des pulsions
au fond de mon ventre qui viennent racler profond
pour m’aider à vomir
mes reliques infectées et rouillées par la bile
striées par le sable.
Je marche dans la rue jusqu’au quai de la gare.
Un empoisonnement
permanent
circule par mes fluides.
Ceux-ci pourtant sont signe que je suis en vie.
J’ai, depuis hier, depuis que j’ai tout dit,
le corps qui vacille.
L’odeur nauséabonde que je lui accordais
quand j’étais une épave
revient par des effluves.
Je monte sans ticket, m’affale sur le siège rouge.
Envahie des menaces de souvenirs odieux.
Ils peuvent jaillir d’on ne sait où.
Le train quitte le quai, je m’enfouis dans mon châle,
je suis sur le qui-vive.
Enfant je croyais
que c’était moi la faute
que c’était moi coupable
que le monde m’accablait.
Et jusqu’à quelques jours, j’étais encore enfant.
J’ai appris qu’on explique les violences qu’on reçoit
par le fait que d’autres n’en sont, eux, pas morts.
Je veux vivre avec et avec légèreté,
tout en considérant à la hauteur du drame
l’ampleur de mes entailles
pour pouvoir accorder au passé de repartir bientôt
en les emportant toutes.
Ou au moins la plupart.
Je croise un regard. Le premier d’aujourd’hui.
Toi tu expliques le charme
qui projette les autres dans une vie avec moi
par une fragilité que je revêts chaque jour
peut-être qu’elle vient de là.
Toi tu es l’être qui
me fait dire sous la lune
mes poèmes et hantises
sur une simple demande.
C’est fait.
Et maintenant j’ai peur, dois-je me battre toute seule ?
Dois-je me battre seulement ?
Toi qui pourtant connais le monde des loups-garous,
ne m’aideras-tu pas à repousser les crocs ?
Dois-je me battre seulement ?
Ou dois-je transformer ?
Je demande à te voir l’ami qui me protège et celui qui me permet d’aller seule au courage. Je demande à te voir me regarder sans tâches, intégrer mes ecchymoses, quels qu’elles soient, légitimes. Je demande à te voir mon allié de magie
à pouvoir dire c’est fait.
Quand je descends du train, j’ai les mains dans les poches comme si de rien n’était. J’entends un oiseau que je ne connais pas.
Il chante comme je le fais dans les karaokés. Cela semble facile.
Si lui, nu sur sa branche, au début du printemps, peut chanter le matin quand il fait encore nuit, je suis sûre de pouvoir y arriver aussi.