Journal de Louve 2023

Journal de Louve #26 Je peux m’offrir des fleurs séchées

Mes doigts connaissent par cœur le chemin de « Journal de Louve », au toucher ça tapote et rebondit. Un chemin sinueux.

Je peux m’offrir des fleurs, moi je préfère les fleurs séchées.

Je peux glaner dans un kiosque le dernier exemplaire de Philosophie magazine, l’avaler dans l’ordre comme on boit beaucoup d’eau au goulot. Je surligne, et mes pensées suivent la partition, elles mettent le ton.

Cette nuit j’ai rêvé que j’invitais une ancienne petite amie à venir boire le thé chez moi – dans une chambre de bonne. Elle fredonne. Et en même temps que sa voix très feutrée, résonnent de mélodieuses sonorités de métal. Je lui demande comment elle produit ce son qui l’accompagne. Elle ouvre le clapet d’une petite boîte d’aquarelle, saisit un pinceau et me montre. Elle commence par former des cercles silencieux de plusieurs tailles et de plusieurs couleurs. Ensuite seulement, elle gorge son pinceau. Et en reliant les cercles avec une trace d’eau, la musique se joue.

Je peux m’offrir des fleurs et prendre soin de moi. Je peux me faire plaisir.

Je peux commander d’occasion un ours en peluche qui sera une fille, avec un joli nœud. Un parfum Cendrillon.

C’était ça ou celui de la Belle et la Bête, j’ai choisi de changer.

Je pourrais raconter l’histoire de Cendrillon pour qu’elle soit à la mode de chez Louve. Essayons.

Une femme dans un château où les échos sont pleins, traîne les couloirs où les larmes sont d’usage et où le temps vieillit. Elle se raconte les aventures des souris qu’elle découvre en flagrant délit pour passer le temps et par fantaisie.
Elle travaille comme elle peut jusqu’à la nuit qui tombe, mais n’est pas autonome. Elle aspire à penser la cohabitation avec sa famille comme seulement temporaire. Elle prend sur elle, écrit dans un cahier des chansons sur son monde. Elle imagine aussi que les souris reviennent pour chanter avec elle comme une grande chorale.

Et puis elle part au bal. C’est une soirée d’audace. Elle se déguise en loup avec un masque gris. En dansant elle découvre que se sentir en vie, ce n’est rien de plus que prendre son élan et ensuite oser voir où cela nous amène.

Elle a l’occasion d’être encore plus surprise. Elle rencontre quelqu’un, habillé en renard. La rencontre c’est ce qui nous transforme. Et la conversation, qui la passionne, lui donne l’impression avec lui de tisser des pensées. Ensemble ils font un monde, un monde qui donne envie. Son corps qui se déplace dans le bruit sourd de cet espace lui donne envie d’un jour l’apprivoiser.

Il y a d’autres enjeux et d’autres rendez-vous. Elle est très en retard, cela peut lui coûter, elle ne veut décevoir des personnes qui, après, comptent sur elle, ni perdre financièrement un contrat important. Elle dit qu’elle reviendra, ses clés tombent de sa poche sans qu’elle s’en aperçoive. Le renard s’en saisit, quelques mots y figurent sur une étiquette attachée par une cordelette. Le renard précieusement le trousseau et attend.

Elle ne revient pas. Pourtant le bal a lieu tous les vendredis pairs.

Elle ne revient pas.

Le renard s’impatiente et mène sa recherche. Enfin il la retrouve, pas du tout par hasard, il attend chaque soir où il pense qu’elle passera. A l’adresse indiquée par l’étiquette des clés : au passage du loup.

Bien sûr elle lui sourit, et une pulsion de vie prend son cœur en otage. Il propose un détour au café tout près, à l’angle de la rue, il lui rend ses clés. Elle en a fait un double, il pourrait les garder.

Ils se voient rapidement plusieurs fois par semaine, plutôt chez lui pour le moment, ou encore au café. Elle fait quelques économies pour trouver une maison. Elle a un nouveau travail, elle met en scène des meutes. Elle apprend à sortir de ses cauchemars toute seule, le renard l’aide, fait germer patiemment des idées sur le monde. Elle, elle prend soin de lui.

Je peux m’offrir des fleurs, mais je l’ai déjà fait. Et je peux terminer le chocolat au lait. Me souhaiter bonne nuit pour me soutenir dans le passage vers l’abandon, quand j’ai encore du mal. Du mal c’est à dire que mon cerveau souffre un peu au moment où je dois fermer les yeux pour longtemps.

Je peux m’offrir des fleurs, ça me fait grandir avec moi. Et en même temps que ça, je peux entourer mes chats de caresses offertes. Je peux penser à toi, affamée au possible. Nos corps entrelacés m’obsèdent un moment quand une image de toi s’impose et puis j’oublie.

Je pense aussi à une amie, qu’il me tarde chaque fois de revoir. Depuis que je l’ai retrouvée, je porte des vêtements verts et quelque chose de serein m’accompagne lorsque je sais qu’elle fait partie de ma vie.

Je voudrais à tous leur offrir des fleurs (séchées).

Victoria Akvarel

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