Corpus #13 Prendre sa place
Je nous souhaite tout d’abord une bonne journée internationale des droits des femmes.
Pour moi, c’est un peu comme un anniversaire. On célèbre, on focalise son attention à ce moment particulier pour particulièrement prendre soin d’une cause ou d’une personne. Cela ne veut pas dire qu’on ne doit pas penser à elle tout le reste de l’année.
J’enseigne en ce moment l’argumentation lors de cours sous forme d’ateliers de pratique dans un collège privé. La rhétorique m’amuse et il me plait de la transmettre sous forme de jeu. Et pourtant, au sujet du féminisme, elle commence profondément à m’user.
Je retrouve toujours les mêmes débats, les mêmes arguments convoqués par mon interlocuteur.trice.
Je rencontre des partenaires de joutes de phrases toutes faites piochées au hasard des pensées façonnées par les milieux sociaux, les médias. Des discutions remplies par des pensées plâtrées.
Et pour cause, peut-être, Isabelle, ma maman, me disait que le terme de féminisme est très connoté, galvaudé. J’entends ce qu’elle semble vouloir dire : cela fige quelque chose de l’employer, cela pose tout de suite un contexte lourd de bagages, tout comme les arguments sont nombre à avoir été scellés autour de ce sujet.
Le langage pour rester vivant a besoin d’être régulièrement actualisé. Pour rester en phase avec ce que l’on veut vraiment dire, pour continuer à susciter chez nous des mouvements de pensée, il doit simplement pouvoir évoluer.
Voici au gré de mes lectures, mes mouvements de pensées féministes. Un petit tour d’horizon de l’état de mon cerveau, par le langage écrit, de mes références féministes personnelles.
Prendre sa place en silence
Les fleurs ne parlent pas – Natacha Bird
Voici le premier livre de l’artiste peindre Natacha Birds. Que cela me plaise ou non, j’avais des attentes importantes quant à cette première publication littéraire et visuelle. Je ne suis pas déçue.
Se considérer féministe, que l’on emploie le mot ou le signifiant auquel il renvoie, c’est peut-être revendiquer sa place. C’est prendre ce qui nous semble nous revenir dans un espace étroit, ce que l’on ne nous avait pas laissé. Si l’on peint cette idée plus universelle encore, la femme fleur de l’artiste me paraît d’une poétique pertinence.
Le féminisme tout comme les positionnements politiques en faveur d’une réelle équité entre les êtres cherche à aménager l’espace de chacun, une organisation vertueuse dans l’équilibre entre soi et l’autre, et le groupe en même temps.
Il s’agit d’une part de reconnaître et de considérer chaque être comme ayant la même valeur, et d’autre part de trouver concrètement les moyens d’illustrer cela dans notre société.
La hauteur des immeubles dessine sur moi une prison, dit la narratrice au corps nu étendu. Il y a tant à refonder. Le caractère émotionnel qui déborde de vie et logée au fond du cœur, la pureté, cela me paraît déjà une bonne base d’inspiration à garder à l’esprit pour nos actions au quotidien.
Si le féminisme adopte parfois le style de l’agitation et du bruit, il peut également porter le fait de prendre sa place de manière ferme et silencieuse.
Considérer l’émotionnel
Je suis une créature émotionnelle – Eve Ensler
Tu préfères être avec quelqu’un de connu qui te plaque ou ne jamais être avec quelqu’un de connu du tout ? Tu préfères qu’on te traite de salope ou de grosse ?
C’est débile comme jeu.
Réponds, c’est tout.
Le plan émotionnel est parfois sorti de la dimension politique, raillé, targué de « sensiblerie », associé à de la fragilité. Cet imagerie de la sensibilité génère un clivage entre les genres -quand les hommes ne doivent pas pleurer comme des fillettes et que les fillettes, elles, pleurent pour rien. Elle capture aussi de nous une part précieuse, une substance qui pourtant fait partie de notre essence.
L’émotion est politique aussi. La manière d’apprendre à la vivre, de la transmettre, la diffusion médiatique, l’imaginaire collectif, orientent notre aisance personnelle et notre relation aux autres. L’émotion fait partie de nous et devrait revenir à un plan bien plus exploré et plus avancé de nos réflexions personnelles et sociétales.
Comment toucher ceux qui ne la considèrent plus, ont pris l’habitude de ne plus la côtoyer ?
Lire Je suis une créature émotionnelle, vivre près d’une personne qui nous raconte son histoire, sa manière de percevoir les choses et de les ressentir. Les expériences où l’on plongent dedans. Celles qui consistent à se laisser porter, emporter, saisir, assaillir. Pour se décentrer et ouvrir une brèche, se donner la possibilité d’être transformé par la rencontre.
Prendre sa place me semble se tricoter avec le fait de sentir celle de l’autre, celle qu’il désire et comment aménager l’espace pour tout le monde. Pour cela échanger. Sentir ce qui nous/le motive, ce qui nous/le porte, ce qui nous/le donne du pouvoir tout en en donnant aux autres.
Je danse car tout est possible, je danse car ça me fait planer. C’est la seule chose qu’on ne me prendra jamais.
Le corps qui parle
Cher corps – Léa Bordier
Le corps est notre maison, notre véhicule, notre lien entre l’autre et soi.
Pour rester en couple avec moi, il faut beaucoup m’aimer. […] Toutes mes chansons, je les écris quand je suis dans un état lamentable. […] J’ai le corps qui me parle, il va falloir que j’apprenne à l’écouter. […] Le deuxième conseil c’est d’explorer un rapport plus large au corps.
Un brouhaha s’échappe par la bouche de multiples témoins. Les corps parlent de leurs souvenirs.
Trouver sa place c’est aller installer son corps, là où l’on se sent bien. Près d’un ruisseau le jour ou d’un feu de cheminée, dans une fête à paillettes la nuit, dans des bottes de pluie rouges, dans le lit d’un amant amour ami.
C’est aussi trouver où s’installer en ce corps. A l’intérieur. Ne plus s’y enfouir, ne plus vouloir sans extraire, ou alors moins souvent.
C’est expérimenter, revenir à ce que ça fait quand je parle, quand je chante, quand j’embrasse, quand je crie, quand je caresse, quand je grandis, quand j’écris et quand je crois voler.
La posture de la gardienne
La dame de cœur – Laura Schneider
Yeux Verts était légèrement plus âgée que Prune, elle avait un caractère à la fois adorable et strict, du charme à rendre tous les rossignols amoureux d’elle.
Les figures de femmes qui jalonnent les rues de nos quartiers et les pages de nos livres sont autant d’inspirations, de directions à prendre. Contracter un portrait peut venir d’un tableau, de la voix veloutée d’une bande originale, de l’admiration d’un visage à la boulangerie.
On trouve alors des éclats d’images qui viennent enrichir ce que l’on voudrait être.
Moins l’écart est grand entre ce que l’on est et ce que l’on veut être, plus l’on trouve sa place.
Les archétypes nous aident à devenir la personne qui nous rendra heureuse. Ils nous mettent en mouvement.
Je vous souhaite une joyeuse journée internationale des droits des femmes, je vous souhaite d’être féministes, animalistes, entre autres, ouverts à l’équilibre entre les formes de vie et prêts à regarder aujourd’hui l’espace que chaque être prend, à participer à le réajuster par votre nouvelle posture.