Journal de Louve 2025

Journal de Louve #68bis – Grandir

J’ai mis toute seule mon pyjama. Je tisse.

L’ampoule à nu diffuse ses courts-circuits. Tantôt l’aveuglement. Tantôt ça m’éblouit.

Mes souliers au pied du lit, sont abîmés depuis longtemps. Je lis des livres plus compliqués maintenant.

Pourtant,
je devrais renoncer aux couleurs sales,
et quand je fais des machines – moins souvent qu’il faudrait –
jeter ce qui bouloche et les vêtements ternis,
sans appeler Maman.

Je tisse et me fais du soucis.

Pourtant,
j’avais appris depuis le temps à faire du cheval au galop,
j’avais rangé ma chambre.

Je tisse.

Je tisse une grande étoffe et des étoiles dessus. Pour que l’on prenne chacun un bout qu’on ne lâchera jamais.

Ton rire me parvient et j’espère que tu es vraiment en train de rire en ce moment. Je mesure les jours qui nous séparent d’une fête. Je voudrais te dire de rire plus souvent avec moi, de prendre le train. Je voudrais construire avec toi des villes en blocs de bois, mettre des personnages dedans et jouer avec nos chats. Ces derniers temps, j’ai appris à nager sur le ventre, j’ai appris à viser et je m’applique, en tirant la langue, à me réaliser. Toi tu manques encore les oiseaux.

Pourtant,
les oiseaux c’est important.
Ca a un rire sérieux.

Je tisse et sous mes doigts se nouent les inquiétudes.

Je tisse des mailles serrées, je mets mes cheveux dedans, ils sont emprisonnés. Je tire dessus, ça fait des nœuds. Je défaits. Pourquoi je t’attends ?
pourquoi je répare ?

Je reprends. D’un coup sec. Le fil se casse. L’aguille me pique. Je mets mon doigt dans ma bouche. Je mords.

Je pose les yeux, avides, sur la pendule. Tu avais dit minuit.

Je jette le tissage. Il s’accroche à mes doigts. Je secoue. Il cède.

J’ai mis mes mains sur mon ventre. J’ai tout ce temps tourné le dos au marchand de sable. Le tissage gît en boule, je crois qu’il a de la peine. L’ampoule grésille encore, je devrais la changer. Trouver une nouvelles paires de souliers, à ma nouvelle taille. Lire des livres qui me plaisent, surtout.

J’ai grandi. Dans la maison, je peux faire seule un repas, des poèmes et repeindre en bleu le mur derrière le lit. Tu avais dit minuit.
Je n’ai plus à tisser.

J’ai à me rencontrer, me plaire, confier mes envies à quelqu’un que j’ai choisi et qui me choisit lui aussi.

Je t’ai attendu et si tu reviens, sache que toi aussi, tu devras tisser les étoiles. J’ai grandi maintenant, je ne le ferai plus seule.

Photographie Victoria Akvarel sur Pexels

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