Journal de Louve 2025,  Printemps - Fleurir

Histoire de Louve – Je te sais

Assise sur la pierre, je caressais la mousse de mes pieds nus. Concentrée, je transcrivais ce que me dictaient mes pensées à m’en tendre le poignet. A la fin de la dernière phrase, je levais les yeux de mon carnet, distraite par la conversation de deux mésanges perchées dans les arbres.

Un bruissement attira soudain mon regard vers le chêne voisin. Un écureuillon me fixa un instant avant de s’élancer vers un autre tronc. J’esquissai un sourire. Il semblait me suivre depuis déjà plusieurs jours.

Je dressai l’oreille et déposais lentement mon carnet sur la pierre, me penchant pour observer en contrebas.

Une silhouette se tenait au bord du ruisseau. Elias était revenu.

Je me redressai, hésitant un instant, avant de descendre vers lui.

— Tu étais loin ? je lui demandai en m’approchant.

Elias tourna les yeux vers moi, un sourire furtif effleurant ses lèvres.

— Je ne me souvenais plus de l’odeur de cette forêt.

Il tapota la souche à côté de lui, en invitation. Je m’installai et posai les yeux sur ses aquarelles humides.

— Ca fait un moment que tu étais installé là ? Je ne t’avais pas remarqué.

Elias leva les yeux à l’endroit où j’étais auparavant. Je compris que, lui, devait m’avoir vue.

Je me reconcentrai sur les aquarelles. Un arbre noueux y était représenté sous plusieurs points de vue. Les nœuds sont des traces que les arbres portent après avoir perdu une branche.

— Tu peins toujours des arbres, je lui fis remarquer.

— Et toi, tu ne racontes que des histoires d’animaux, dit-il en souriant.

Il se mit à ranger ses affaires, commençant par rincer ses pinceaux dans l’eau claire du ruisseau.

Une onde de mélancolie m’assaillit la poitrine. Je détournai le regard, ne pouvant retenir la question qui me brûlait les lèvres.

— Tu repars quand ?

Il haussa les épaules.

— Peut-être demain. Peut-être après-demain.

Je sentis mon souffle se froisser. Elias me tendit la main et nous remontâmes ensemble le sentier, nos pas dans le même temps. Il sifflotait au milieu des gazouillis d’oiseaux. Je baissais les yeux sur son sac élimé, des coins de pages cornées en dépassaient.

— Chante, dit-il.

Je secouai la tête et portai l’ongle de mon pouce à ma bouche. Je serrai ma main plus fort dans la sienne, j’aurais voulu l’agripper.

Au moment où nous atteignîmes la clairière où se trouvait ma cabane, il s’arrêta.

— Je peux te montrer quelque chose ?

J’acquiesçai. Elias me fit faire le tour de la cabane. Il nous posta devant un vieux noisetier.

— Je voudrais peindre cet arbre-là, avec ta cabane derrière, avant le coucher du soleil.

Je sortis des couvertures et un panier de baies.

— Tu as toujours ma guitare ? demanda Elias en sortant sa palette.

— Oui.

Je retournai la chercher et m’assis sur un plaid.

— L’université ne te manque pas ? demanda Elias absorbé par son croquis.

— Non, répondis-je. Je préfère être ici et apprendre encore. Les animaux sont une bien meilleure compagnie, qui plus est.

— A qui le dis-tu.

Elias répondit en regardant le noisetier d’un air espiègle. Je suivis son regard et découvris le même petit écureuil que j’avais trouvé plus tôt.

— Il nous surveille ? m’écriai-je.

— Je ne sais pas, dit Elias. On dirait que cet écureillon a passé l’après-midi à faire des allées et venues entre toi et moi.

Je voulais demander à Elias pourquoi il n’était pas venu me voir plus tôt. Cela me semblait vain.

Je le vis tourner la page et reprendre son crayon de papier.

Au coucher du soleil, Elias vint s’asseoir sur le plaid. Il saisit la guitare, la posa sur ses genoux et commença à gratter les cordes avec délicatesse.

— Chante, me dit-il une nouvelle fois.

Cette fois, je voulais bien chanter. Ses yeux tombèrent dans les miens, grands ouverts, et je me mis à fredonner des paroles inventées au sujet d’arbres centenaires, des loutres des ruisseaux et de nos peaux qui sont manière de se rencontrer.

Elias cessa de jouer lorsque j’éteins mon souffle. Il glissa sa main dans mes cheveux. J’attrapai sa nuque et m’approchai pour envelopper mes jambes autour de lui. Je me retins un instant, le toisant boudeuse, hésitant à profiter du moment ou à lui faire part d’avoir manqué de lui.

— Je reviendrai toujours, murmura-t-il.

J’avais besoin qu’il le dise encore.

Lorsque nos peaux eurent besoin de se trouver davantage, nous rentrâmes dans la cabane. Le corps d’Elias bascula sur le mien.

Tard dans la nuit, tandis que nous parlions à la lueur de la lune, son regard se perdit sur les dessins que j’avais affichés sur le mur. Ses dessins.

— Tu les conserves tous.

— C’est ma manière de t’aimer.

Il tourne la tête vers moi, intrigué.

— Je sais que tu parcours les sentiers et que tu t’épanouis de faire ces rencontres. Je suis heureuse de te savoir heureux, même si parfois, tu me manques énormément.

— Je vois.

Il parla d’une voix sourde, je n’étais pas certaine qu’il voyait vraiment.

— Cela ne te suffit pas ? ajouta-t-il enfin.

Je contins un sanglot. Mes mains firent un mouvement vague que je ne savais expliquer. Elias, suspendu à mes lèvres semblait se concentrer pour parvenir à lire à travers mon silence. Sous son regard insistant, les sanglots remontèrent à la surface, secouant ma poitrine. Il me prit contre son torse et je m’y enfouis jusqu’à m’apaiser.

— Je sais, tentais-je d’expliquer entre deux secousses. Je sais. Mais à chaque fois, je me demande … Je ne sais jamais quand tu vas revenir.

— Ce n’est peut-être pas l’important, dit Elias.

Et je crus que je trébuchais à l’intérieur de moi.

Il s’assit sur le lit et me retint les deux mains.

— Je te sais. Je suis heureux de te savoir vivante, épanouie. Et je t’aime.

J’esquissais un sourire.

— Pareil, je dis en essuyant la morve sous mon nez avec mon poignet.

Elias arqua un sourcil, je souris piteusement en remuant le poignet. Nous laissâmes éclater un rire et Elias tira la couverture sur moi.

Le lendemain matin, Elias était parti.

Il avait laissé un carnet sur la table, ouvert à la dernière page.

J’y découvris mon propre visage, rehaussé d’ombres douces. J’étais représentée endormie dans le lit, les cheveux inondant les draps, un écureillon, posté à l’arrière plan, sur la table de chevet.

— C’est comme ça qu’il me voit, murmurais-je.

Je pris le carnet et feuilletai doucement les pages à l’envers. Elles étaient couvertes d’arbres singuliers auxquels Elias avait à chacun donné un nom. Lorsque je parvins à la première page, je lus son écriture désordonnée.

Mira, voici toutes les rencontres que j’ai faites au cours de mon dernier voyage. Je pense à toi, à chaque fois, car j’aimerais tant te les présenter. J’aime te savoir, alors, près de ta cabane à chanter des berceuses aux faons et aux écureuils. Je te sais et je t’aime. A bientôt.

L’écureuillon, perché sur une poutre de la cabane m’observait, sa queue frémissant.

J’ouvris la porte et m’assis sur le seuil ensoleillé, le carnet sur les genoux. Je pris le temps de découvrir toutes les rencontres d’Elias, les arbres aux branches hautes, aux nœuds révélant les blessures du passé, aux feuilles qui dansent, ignorant presque tout de qui ils sont vraiment, émerveillée de me voir cependant confier ces portraits.

J’inspirai profondément. L’écureuillon vint me rejoindre et mon regard croisa ses yeux malicieux.

Je me levai et allai chercher un nouveau carnet. Je me mis à transcrire ce que me dictaient mes pensées. J’allais présenter à Elias mes amis dont je ne lui avais que si peu parlés.

J’écrivis.

Il était temps pour moi aussi de vivre avec joie jusqu’à le retrouver.

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