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Journal de Louve #47 Ne pas déranger
Qui s’érige indemne malgré les bousculades ? Il va de soi que nos sillons se creusent, je suis moi-même crevasse à la voix éraflée. Elle devient parfois rauque comme pour dire Ne pas déranger. Parfois, vous en avez assez fait. Je suis pourtant aussi tapissée de velours. Je me voyais comme celle qui mettait le désordre. Mais je suis aussi celle qui s’applique à conforter, s’y applique un peu trop. Je connais un renard qui sait mieux que quiconque énoncer les nuances et les complexités. Ses pores les absorbent. Je ne sais pas encore ce qu’il en fait. Peut-être rien. Tout n’est pas fait pour être utile. C’est quelque chose…
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Journal de Louve #46 Jouer toute seule
Je pense que le mur avale presque tous mes bruits. Je suis un silence pour les voisins. A peine doit-il y avoir parfois un bruissement, une vibration. La machine à laver à l’essorage doit pouvoir faire frémir des objets déposés sur une table, de l’autre côté de la cloison. Ici pourtant mes envies cavalent. J’ai des feutres étalés du lit au tapis, des livres commencés, des idées empruntées qui parlent en même temps. Cette vie c’est comme une fête qui démarre sans arrêt. J’ai découvert jouer toute seule. C’est doux comme le ventre d’une chatte tigrée. Maintenant j’en ai trois. C’est doux comme la passion qui s’étale en peinture, sur…
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Journal de Louve #45 Les loups affamés
Ils sont deux et tu me dis Celui que tu nourris. Mais moi j’ai peur des loups, j’en faisais des cauchemars dont je parle le mieux quand je peux me cacher. Mais même dans mes cauchemars, le loup me découvrait. Pourquoi en nourrirais-je ? J’ai les mains dans mes poches et retentissent les pièces, à peine me suffisent-t-elles pour faire mes propres courses. Je saute des repas. Je m’en méfie partout, autant que les enfants à qui j’aurais lu le petit chaperon rouge en y mettant le ton, qui ignorent tout à fait que dans certaines histoires, le loup y finit bien. Je serais prête aussi à fendre mes paupières…
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Journal de Louve #44 Miroir Blanc
J’ai une hésitation à être quand je retrouve la mémoire, peut-être la peur encore de marcher sur des morceaux de verre, que je ne vois pas. C’est mon côté théâtral. Je sais que je n’aurai qu’à la fin une idée de la saveur de vie. Et je n’aurai rien rangé. A la croisée des chemins, je ne veux plus parler de moi tant cela m’enferme dans un monde fait des petits plis de ma peau qui me recouvrent. Je ne m’autorise plus non plus à parler des autres tant ils m’échappent et si je les observe, étrangère à toute scène, je me refuse encore de les interrompre. Je n’ai toujours…
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Journal de Louve #43 Accoutumance
Je me sers une tasse du liquide de ta voix. Le corps est chaud, familier. Les substances stimulantes commencent à faire la course pour monter à mes tempes. Je m’engourdis un peu en t’écoutant parler. Tu te balances sur une chaise, les bras croisés, le mouvement de tes idées fluctue et je bois tes paroles brunes amères, avec le vrombissement du bruit de la machine, c’est rassurant comme un lundi matin. L’air nous enveloppe, je me sens bien à la chaleur qui m’imprègne, chaque gorgée me rassure. Je reverse dans ma tasse de la substance sombre, regardant le halo dru et blanc au dessus danser et moi je fais semblant…
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Journal de Louve #42 Nostalgia
J’ai la nostalgie aiguë, comme une chanson entêtante que je n’ai pas choisie, qui imprègne la chair. Elle me bouscule d’un choc démesurément doux puis m’engourdit en continu. Plus tard, je retrouve au détour d’une pensée, l’impact sur mon humeur, sans savoir d’où ça vient. J’ai la nostalgie parfois par avance, quand je sais que les chatons vont grandir. Celle aussi de prendre ta main et d’y voir autre chose que lorsqu’elle n’était qu’une main. Effrayée par l’idée de ce qu’elle deviendra. C’est fascinant, ça se fouille, ce béant inaccessible. Je me perds à chercher à admirer cette chimère qu’il me plaît de renommer refuge. Elle n’est faite que de…
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Journal de Louve #41 Je suis l’affront
Il fut un temps où je faisais dans ma tête ritournelle de ces mots « alors hurle en puissance ». Seulement, je les disais seule. J’ai fais des années, trébucher dans les briques, à œuvrer sur ma peau glaise. A me façonner mieux, même si cela devait parfois me teinter de triste et me mener les yeux grands ouverts devant les champs de batailles de mon époque. J’ai vu. Peu mais un peu. J’en suis furie, c’est vrai, et on dirait que furie donne le droit parce que je suis une femme de dire hystérique, parce que je semble jeune de dire idéaliste, parce que je suis sincère de dire provocatrice, parce…
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Journal de Louve #40 Triste et sublime
Je cherche Ton dernier souffle dans l’appartement. Il doit bien être quelque part. J’ouvre la fenêtre La brise légère s’est installée Les vents contraires ont, comme toi, cessé de se faire entendre. Je dépose ma mue Et tu es dedans. Le silence du plafond blanc est rempli des rires que tu m’inspires encore. Mon souffle à moi coupé, Continue Et te trouve partout où je me souviens. Hier c’était la fête C’était beau, c’était toi. Aujourd’hui le chemin c’est gravir c’est le triste et sublime qui me montre l’amour immense que j’ai, qui grandit Et qui est né de toi. Ta vie résonne comme l’air que je chantais au plus…
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Journal de Louve #39 Si « tu » n’est plus matière
Si tu n’est plus matière, il devient un trésor et devient infini. Il court à se nicher au creux de ma poitrine, au profond de ma vie. Il sait se faufiler dans mes poils hérissés. Tu est bien plus duveteux que les mots imprimés sur papier blanc ou crème, a des cheveux qui ondoient crépuscule quand des lettres se figent, le pelage d’un caneton, je sais que ça vaut plus. J’aime mettre mes doigts dedans, caresser son museau du bout de mon nez. Tu m’a donné l’élan. A son contact je redeviens dense ou je redeviens danse. Tu m’a longtemps aidée à vivre-écrire, sans que l’un, de l’autre, ne soit…
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Journal de Louve #38 La proie et l’autre imaginaire
Je joue à cache-cache dans les herbes hautes. En ce moment, j’ai tendance musaraigne. Nécessairement, si je m’éloigne des rives un peu trop longtemps, l’eau et ses souillures que j’avale malgré moi agglutinent mon pelage en petits amas gris. Pourtant, j’entends le fond de la nature fredonner une chanson que j’ai cru inventer. N’ayant aucun souvenir de qui me l’a apprise, j’ai pensé, prétentieuse, qu’elle provenait de moi. Je crois que je n’ai rien imaginé moi-même, j’ai seulement récolté, ramassé et gardé ce qui me rassurait. Mes poches sont pleines. A présent j’en suis sûre, l’air vient d’un arbre creux, d’un bébé écureuil, d’un bruissement de feuillages ou d’un croassement.…