Journal de Louve 2025

Journal de Louve #71 Rire de mes doutes

Je semble insuffire au monde. Peut-être c’est lui qui m’insuffit.

Ma peau se détache de lui, quelques boutons défaits.

Je sais rire de mes troubles, maintenant.

Je sais que l’ennui n’est pas un lac profond, que je mettrai mes bottes, que j’irai patauger. Je souris même de mes violences, même si je ne leur rend plus visite. Je sais qu’elles peuvent me rattraper, je fais bien attention, je ne saute pas à pieds joins dans de la boue que je ne connais pas.

Je sais que la boue n’est plus la crasse incrustée, mais les autres, quelqu’un leur a-t-il dit ?

Je voudrais reconnaître dans les grands yeux vivants, quelques boutons défaits, comme moi sur un gilet ou sur une manche. Et comprendre en inspirant le souffle de leur voix qu’ils ont l’habitude aussi entière de s’accrocher au bleu.

Qu’ils ont aussi appris, seul dans leur coin, pour éviter les crocs au fond des marécages, à prendre la couleur bleu comme une identité, à l’apprivoiser, comme alliée, comme appui.

J’y pense et puis j’oublie.

Parfois je me noie même dans le verre, pas dans le lac. J’oublie l’Ours bleu et d’être mon amie.

Je remonte mes manches, je referme les boutons pour retourner bien attachée à ce monde qui m’effraie, à ses occupations. Ces quelques jours, aucune ne m’émerveille, j’ai trouvé le mot en marchant dans la rue. C’est à ce moment si attendu, comme si je me mettais en scène, sans n’en savoir rien, comme si j’étais regardée, alors qu’il n’y a personne, que je trouve toujours une voix pour dire sauf

Rien ne m’émerveille vraiment sauf les cheveux sauvages, la pluie, la danse, sa main dans mes cheveux. La couleur bleu, une baleine stellaire, les histoires inventées et l’odeur du café.

Je me suis fait une amie, c’est nouveau, elle a un éclat qui me plaît et qui vient s’asseoir à la liste. Par peur avec elle d’être si maladroite que je peux tout abîmer, je m’accroche à la couleur bleue.

En fait, le monde me plaît quand je cesse de bouder dans ma chambre et que je sors la tête. Evidemment, je veux connaître. Je veux qu’on me regarde, j’ai peur qu’on me regarde. J’ai envie d’explorer.

Je m’installe de nouveau à mon chevalet. Les boutons de ma robe dans mon dos. Je prends un pinceau.

Je peins mes doigts un par un avec la couleur bleue. Je prends le temps qu’elle sèche, en attendant, j’essaie encore d’apprendre à être mon amie. Je sais pourtant qu’être moi-même l’amie ne suffit pas, et que j’en voudrais d’autres.

Je veux aller plus loin, je peux me rassurer. Si d’autres l’ont fait, je peux le faire aussi. Si j’arrive à m’aimer, d’autres peuvent le faire aussi. Je remercie la baleine stellaire, même si elle est partie et l’Ours bleu dans sa boîte parce qu’il y est resté.

Je sais rire de mes troubles, je sais rire de mes doutes, maintenant. Il est temps d’explorer.

Photographie d’Olia Danilevich sur Pexels

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