Les chroniques,  Pêle-mêle

La philosophie : pourquoi on s’en fout ?

En rentrant de ma petite excursion à Bordeaux, je perçois sur France culture, quelques bribes d’une conversation entre un enseignant de philosophie et le journaliste, avant le silence radio de ma voiture trop loin des ondes. Il est question du manque d’intérêt de la majorité des personnes par rapport au domaine de la philosophie que l’enseignant considère comme un phénomène sociétal regrettable.

J’ai eu très envie de poursuivre mes recherches sur le sujet. J’ai également proposé à mon oncle Sylvain, docteur et enseignant en philosophie de nous faire part de son avis sur la question suivante : la philosophie, est-ce que cela n’intéresse réellement pas grand monde, et pourquoi ?

Un domaine connoté

Certes, la philosophie est un domaine qui peut paraître élitiste, fastidieux, voire franchement ennuyeux, notamment auprès d’un public de non-initiés. Force est de constater que si, lorsque j’organise des cafés littéraires, j’ai parfois peu de participants selon le sujet du corpus, lorsque je présente une date mentionnant en haut du flyer café philosophique, jusqu’à présent, je n’ai personne.
Je suis moi-même parfois, un peu désabusée de ne pas pouvoir partager cette discipline qui me passionne avec d’avantage de mes pairs. Le sens porté par le mot philosophie et ce qu’il véhicule dans l’esprit des gens ne leur donne manifestement pas envie de venir partager ce temps de café-réflexion.

Un effort cognitif

Je reviens rapidement sur l’une des valeurs du néo-libéralisme, que j’ai abordées dans l’article Chacun fait fait fait c’qui lui plaît plaît plaît, la semaine dernière. Celle qui concerne le sujet ici est l’hédonisme.
Une philosophie de vie, pourrait-on dire pourtant. Cette manière de penser diffusée dans notre cerveau par les impacts médiatiques récurrents, un autre phénomène sociétal, nous amène à la recherche de plaisirs immédiats, rapides et faciles à obtenir, ainsi qu’à l’évitement de la souffrance. Certes, la souffrance étant désagréable, il est rare que nous la recherchions pour elle-même. Cependant, d’autres perceptions sont envisageables, encore est-il nécessaire pour sortir de son carcan intellectuel, modifier ses pensées, ses attitudes et devenir quelqu’un que l’on choisit davantage grâce à un peu de réflexion.

Et c’est justement un élément qui peut nettement freiner notre intérêt pour la philosophie : pour notre cerveau, il est plus fluide, facile et confortable de rester dans ses habitudes de penser. Moins stimulant aussi. Mais réfléchir est une tâche plus difficile et c’est pourquoi nous avons régulièrement besoin d’infléchir cette réflexion, de faire l’effort de la commander à notre cerveau.
Ensuite, comme pour un marathon, plus le cerveau a pris l’habitude de certains exercices (s’interroger, concevoir des éléments de plus en plus abstraits, penser de manière complexe de plus en plus longtemps …) et de certaines sensations (le doute, l’incertitude, mais aussi la persévérance et le plaisir d’obtenir le résultat après un effort), plus il trouvera également du confort et de la fluidité à le faire.

De plus, il est nécessaire pour que le cerveau progresse dans sa capacité à réfléchir et à philosopher, que le résultat obtenu lui semble suffisamment digne d’intérêt. Ce que l’on doit gagner doit être à la hauteur des efforts faits. Et cela, rend l’initiation à un nouveau domaine d’autant plus compliquée : si l’on n’a pas suffisamment d’expérience dans une discipline et que l’on n’a jamais pu observer ce que l’on retire de s’y adonner, on ne peut qu’imaginer ce que l’on pourrait en gagner. Ce qui ne se fait qu’à travers notre propre prisme de pensée (ce que l’on connait déjà et la manière dont on perçoit déjà le monde). On ne peut pas imaginer ce que nous apportera réellement une nouvelle expérience.
De plus, si l’on gagne régulièrement de l’argent pour avoir accompli certaines tâches, ou un tour de manège parce que l’on a aidé quelqu’un à faire quelque chose (récompenses tangibles), il est plus abstrait de projeter ce que l’on gagnera à courir un marathon ou à suivre une conférence de philosophie. Les récompenses sont plutôt de l’ordre de la satisfaction de soi, l’enrichissement personnel ou intellectuel, le fait de nourrir un besoin de sens ou de stimulation … Difficile donc pour un non-initié, qui n’a pas pratiqué régulièrement la philosophie ni été éduqué à percevoir ses avantages et ses apports, d’imaginer qu’il va gagner quelque chose qui puisse avoir de la valeur.

C’est ce qui me déplait dans la recherche d’un plaisir immédiat et l’évitement de la souffrance. D’une part, le plaisir immédiat n’est pas le bonheur. Accomplir régulièrement des objectifs stimulant peut nous rendre plus heureux. Recevoir en permanence des récompenses facilement obtenues provoque à la longue lassitude et ennui. Nous pouvons avoir une activité intellectuelle bien plus riche, intégrer les inconforts voire les souffrances de notre vie dans un processus de réalisation de nous-même. Ainsi, nous pouvons nous construire à meilleur escient, en cohérence entre nos sentiments et nos pensées profondes. Même si évidemment, il est tout à fait agréable de s’accorder du plaisir régulièrement comme il est humain et sain de savoir préférer la facilité lorsque nous en avons besoin.

C’est pourquoi cela semble normal, légitime et même nécessaire, de se désintéresser de certains sujets. En effet, notre cerveau ne peut pas réfléchir à tout. Les opportunités et occasion multiples et si nombreuses du monde dans lequel nous évoluons font déjà bien de la matière à penser.
Les choix que nous avons à faire, les contraintes que nous intégrons dans nos modes de vie sans les remettre en question peuvent-elles aussi participer à une charge mentale pesante, et c’est en partie ce qui peut nous amener à nous dire lors de nos temps de loisirs : « J’ai autre chose à faire que d’aller réfléchir au monde dans un café philo alors que j’ai enfin une heure pour moi ! »

Cela peut être sain lorsque notre mode de vie nous semble suffisamment équilibré et vertueux pour nous et notre épanouissement. Mais cela peut également appartenir à un processus vicieux : on a déjà l’impression d’avoir trop à penser, alors on préfère éviter de réfléchir. Et pourtant, c’est peut-être dans une autre manière de penser que l’on pourrait trouver des chemins qui conviendraient mieux à nos baskets.

Pourquoi philosopher ?

Oui, penser, réfléchir et philosopher demandent un certain nombre d’efforts cognitifs qui s’acquièrent grâce à l’envie et à l’entraînement.
J’ai d’ailleurs remarqué, dans une classe maternelle où j’ai régulièrement dispensé des séances liées à la réflexion, que les élèves qui cultivent un plaisir de penser acquièrent des capacités cognitives bien au delà de ceux pour qui tout effort vide rapidement l’enfant de son énergie.
Et ils s’en amusent ! Car comme une habitude à prendre, les enfants qui ont musclé leur intellect aiment jouer avec lui. Ils abordent les exercices et les défis comme des conquérants enthousiastes, adorent les devinettes, recherchent par eux-mêmes de nouvelles connaissances et confrontent leur vision du monde avec celle des autres pour reformer ensuite une manière de penser qui leur conviendra mieux pendant quelques temps. Tout cela est possible. Dès la maternelle, et ce, jusqu’à la fin de notre vie.

En ce sens, sans même encore avoir parlé de son utilisé, la philosophie et le développement intellectuel participent à l’épanouissement car elle devient une source de plaisir et de stimulation. C’est en même temps un jeu sérieux qui a encire bien d’autres atouts.

Comme le dit Sylvain Portier qui a réalisé une vidéo dans son challenge philo en réponse au titre de cet article, la philosophie nous permet d’apprendre à voir les choses différemment et à raffiner notre pensée. Sa pratique régulière a pour conséquence un développement de notre capacité de penser, un élargissement de notre zone de confort ce qui nourrit la confiance en soi (et donc globalement l’estime de soi), ainsi que la persévérance et notre capacité à nous positionner comme acteur de notre propre réalisation. Nous pouvons alors trouver davantage de liberté à être nous-même à notre juste place au sein du monde auquel nous appartenons. En développant plus de libre arbitre, nous devenons moins influençables et plus assurés.
La philosophie nous permettra d’entrevoir de nombreux possibles et de choisir à meilleur escient la manière dont nous souhaitons poursuivre notre chemin.
Il est sain de trouver son propre équilibre de réflexion, comprenant la prise en compte de ses ressentis, de soi, des autres et du monde dans la mesure qui nous convient le mieux.

La philosophie peut donc devenir à la fois un outil d’une précieuse utilité, ainsi qu’une source de plaisir. On retrouve donc notre terme plaisir, qui devient dans cette considération un moyen d’aller vers la réflexion profonde de manière agréable et non une fin en soi ou un objectif exclusif. Si l’effort que demande notre rencontre avec la philosophie est un peu moins difficile grâce à certaines modalités qui garantissent en même temps la richesse du contenu, pourquoi ne pas la présenter ainsi ?

Comment aborder la philosophie ?

De nombreuses références et modalités permettent d’aborder la philosophie bien autrement que dans une considération élitiste, dans la forme d’une présentation ennuyeuse, ou d’un contenu inaccessible pour des non-universitaires.
Je trouve de la qualité à ces propositions lorsqu’elles conservent toute la richesse de cette discipline par la manière dont elles traitent leur sujet.

J’apprécie notamment les supports qui présentent une réelle dimension réflexive : ateliers participatifs et échanges en font partie car ces modalités permettent d’impliquer les participants dans une posture active.
En outre, selon le public ciblé, il convient de trouver l’équilibre entre l’apport de compétences et cette génération d’activité chez les participants, tout en restant dans la zone de développement correspondant à leurs capacités.

Si finalement, vous ne vous foutez pas de la philosophie et que vous aimeriez avancer dans votre compétence sur le sujet, voici ce que je vous conseille :
– les ouvrages, ateliers ou conférences doivent vous apporter des éléments en cohérence avec votre niveau de compétence actuel et vous emmener un peu plus loin.
– ils doivent vous permettre d’aborder votre progression dans une intention active (sans vous laisser dans un posture passive d’une personne qui recevrait des informations ou du savoir sans que cela ne modifie votre schéma de pensée). Si cela ne cogite pas dans votre cerveau et que votre manière de percevoir les choses reste inchangée à la suite d’un temps d’atelier ou d’apprentissage, vous n’êtes probablement pas dans un processus réflexif.
– Ces temps de philosophie doivent contenir suffisamment de richesse et de complexité même si vous débutez dans la discipline : c’est la différence entre les ouvrages simplifiés et les ouvrages vulgarisés. La simplification des notions ampute la complexité de celle-ci dans le but de les rendre accessibles. Au passage, elle transforme les concepts et le message transmis devient erroné. La vulgarisation est une manière progressive d’amener les personnes à la connaissance, cela nécessite généralement en pédagogie des paliers de niveau. On revisite les notions plusieurs fois en progressant à chaque rencontre dans l’approfondissement de sa compréhension. Le but étant de conserver la justesse de la discipline, et de dispenser un savoir toujours correct dans toute sa complexité.

Images de l’article : Pixabay

Deux références coup de cœur pour philosopher et réfléchir avec plaisir :

  • Le petit prince d’Antoine de Saint Exupéry : cette œuvre littéraire métaphorique admet une dimension philosophique. Les dimensions narratives et l’esthétique poétique rendent l’ouvrage accessible et plaisant.
  • La chaîne Youtube Et tout le monde s’en fout met en scène Axel Lattuada, dans la proposition de pistes de réflexion sur des sujets de société. Celle-ci allie transmission de connaissance et questionnements.

La philosophie, vous en foutez-vous ? (j’ai rarement l’occasion dans ma vie de poser cette question ainsi !) Comment aimeriez-vous la pratiquer ou la rencontrer ?
Pour poursuivre sur le sujet, j’envisage d’écrire un prochain article qui vous présenterai de nombreuses références pour philosopher et réfléchir avec plaisir (corpus de livres, chansons, vidéos …). N’hésitez pas à m’indiquer dans les commentaires si cela peut vous intéresser ou si vous avez des références à me proposer !

A bientôt,

Louve

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