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Les Orgueilleuses #1 Introduction

Les orgueilleuses, une inspiration éminemment littéraire. Tout autant dans sa dénomination à la fois théâtrale et poétique que dans les nombreuses références de la littérature qui présentent des illustrations personnifiées de l’orgueil, d’On ne badine pas avec l’amour d’Alfred de Musset qui met en scène deux personnages qui s’aiment mais qui se blessent pas orgueil, à Orgueil et préjugé qui dépeint une affirmation de soi pleine d’intelligence et de liberté, en passant par les éloges de Frida Khalo ou de Simone de Beauvoir à ce sujet.

Les orgueilleuses ne sont-elles donc que celles qui lèvent le menton à la moindre attaque invisible, celles qui répondent froidement en arborant un élégant port de tête et en regardant l’horizon, qui se vexent lorsqu’elles se brûlent ou se cognent et préfèrent ne rien dire ou celles qui, le cœur en miettes sourient tout de même et affirment d’un geste de la main que ce n’est rien

Les orgueilleuses sont-elles de ces personnes qui écrivent des poèmes sur elles-mêmes qu’elles ne montrent jamais ou des histoires innovantes dont elles s’empressent de vouloir faire lecture dans les lieux publics, en prenant toute la place peu importe les autres qui voulaient leur chance ? Sont-elles celles qui traîneront leur valise trop lourde dans les escaliers à bout de bras sans rien laisser deviner, qui même le souffle court se retiendront de tituber, ou celles qui la feront porter et exigeront d’ailleurs d’un autre qu’on la porte car elles sont trop précieuses pour cela ?

Elles partagent froncement de sourcils, petits drames quotidiens, elles détiennent et arborent des armes pour se défendre. Elles cachent par devers elles l’injonction constante de tenir toujours debout.

L’armure, rempart contre l’hostile du monde

Le Larousse admet comme première définition de l’orgueil un sentiment exagéré de sa propre valeur, une estime excessive de soi-même qui porte à se mettre au dessus des autres, la deuxième définition présentée indique un sentiment de dignité, une fierté légitime synonyme d’amour-propre.

Les orgueilleuses ont toutes enfilé une armure pour faire face aux chaos, violences et aux petits cailloux qu’on leur jette dessus. Dans Le cœur innombrable, Anna de Noailles associe son orgueil à l’extérieur d’elle-même.
Je suis plus belle que je ne fus jamais, j’ai tout l’orgueil du monde et toute sa détresse.
De vivre, de sentir et d’aimer trop fort, ce que l’on perçoit de l’extérieur devient lourd et dense. Et cette intensité donne à la fois un goût palpitant de beauté au monde, mais également une écrasante responsabilité quant à lui, quant à soi.

C’est qu’il y a dans l’orgueil un rempart, une barrière avant l’effondrement, une arme défensive contre un trop plein, quand noyé sous l’extérieur qui malmène, qui ricane, qui oppresse et exige d’elles qu’elles soient toujours un peu plus nobles et grandes, des orgueilleuses ont appris ainsi à y résister quelque peu.
Il y a dans cette posture raidie, dans leurs silences, leur refus de se montrer vulnérable à l’hostilité. Il y a quelque chose de sauvage d’un animal blessé en permanence et de qui l’on retourne le couteau dans la plaie, lentement et plusieurs fois dans le sens des aiguilles d’une montre. Un animal, qui, on le sait, si vous avez l’habitude d’en fréquenter, ne vous a peut-être jamais agressé, mais c’est sous-jacent, il peut montrer les crocs.

Que nous soyons orgueilleux souvent ou de temps en temps, nous avons des défenses, des pions en première ligne lorsque nous sentons une menace.
Dans un monde où l’on est sommés d’être accessibles, ouverts et authentiques même lorsque l’on souffre, l’orgueil est un refuge quand le courage n’est pas prêt à présenter sa vulnérabilité ou que la confiance n’est pas établie. On se livre à ceux dont on est sûrs qu’ils prendront soin de nos secrets, ceux qu’on a laissé, dans le temps nécessaire pour le faire, la possibilité de nous apprivoiser. Cela est plus long lorsque la tendresse n’a pas été fiable.
Cela est plus long lorsque l’on a refusé de nous apprendre à demander de l’amour et que l’on confond cela avec en quémander.

Ce refuge certes, est un abri précaire, mais il permet de traverser l’hiver.

Elégance et dignité

Il y a de l’élégance à être fière chez les orgueilleuses, dans leur façon de tenir tête même quand tout s’écroule. C’est un feu intérieur qui murmure : je vaux mieux que ce qu’on m’a fait croire.

Il y a de l’audace à dire d’un regard hautain aux cils recourbés ma douleur ne sera pas livrée à n’importe qui et mon monde intérieur m’est précieux, m’importe, pour moi, il a de la valeur.
Il est d’une beauté rare et saine de ne pas avoir besoin d’être vue entièrement par tout passant, voisin, dans chaque conversation brève ou entrevue. La courtoisie et la politesse donneront de nous un masque que nous avons soigneusement tissé chaque fil, brodée chacune des perles, dont nous avons peint les détails à la main. Nos masques nous appartiennent et ceux des orgueilleuses clament très fort que vous ne les souillerez pas, que vous ne les abîmerez pas, que l’on ne piétinent pas ici leur parterre de fleurs.
Allez voir ailleurs.

C’est aussi une pudeur noble et héroïque, une exigence personnelle qui frôle la tyrannie que de garder pour soi en travers de la gorge leurs tords comme leurs maux. Leur silence est leur forme de langage.
Elles parcourent le monde, solitude comme angoisse et lorsque celle-ci prend trop de place elles respirent mal comme si un nénuphar entier avait éclos dans leur poitrine. Elles ont appris l’inconfort et le gardent pour elles, elles ont appris blessées à ne rien laisser paraître. Elles s’imposeront, pas moins, d’avoir les qualités de déesses immortelles, la grandeur d’âme de chimères et la capacité de monter les montagnes comme si elles y dansaient. Et cela leur confèrent volonté et panace, la force d’avancer droit devant elles, d’avoir peur des embûches mais de compter sur elles : elles savent que leur courage entraîné et leur détermination seront plus importants que la peur.

Orgueil paradoxal

Plus une orgueilleuse tient à quelqu’un et plus elle s’éloigne ?
Une orgueilleuse d’avoir érigé sa force comme son plus grand atout peut avoir peur de dépendre, peur de donner, peur d’offrir son cœur et ses entrailles à quelqu’un qui pourrait les tenir dans sa main et les presser si fort qu’il en extrait toute la substance. Elle ne permettra pas qu’on porte atteinte à la valeur qu’elle a trouvé en elle.

L’orgueilleuse est pleine d’amour, un amour dense, profond qu’elle perçoit dangereux, un amour qui se refuse et qui se tait, pour ne pas se trahir. L’amour est un enjeu.
Il n’y a rien à abattre, plutôt à honorer, cette amour de soi qui s’est forgé seul et avec dureté vient d’alentours trop exigeants, de la sourde-oreille de ceux dont on aurait tant voulu l’affection. L’orgueilleuse, peu apte, car déçue trop souvent, à compter sur les autres a peut-être oublié qu’elle a su se construire elle-même une forteresse, qu’elle peut se protéger. Elle peut se rappeler que la forteresse n’a pas à devenir une prison qui l’isole, mais qu’elle peut partager sa beauté tous les jours en se donnant un peu, et qu’elle ne risque pas tout tant qu’elle pensera à aller s’acheter seule des fleurs, en cas de coup dur.

Pour ne pas devenir la harpie sèche, le poison des autres, celle qui n’hésite pas à pousser par dessus bord, un corps de sable ou des os de poussière dénué de charme et de vie, l’orgueilleuse persévère pour relever ses plus grands défis. Aimer sans craindre d’être blessé pourrait être son rêve et tout cela s’apprend, et tout cela s’applique, jour après jour.
Le courage des orgueilleuses c’est de demander de l’aide, de s’excuser, de remercier, de dire je t’aime même lorsque l’autre nous a blessé. L’audace des orgueilleuses c’est de commencer une relation intime en disant j’ai ces limites, ces épreuves et tout cela m’effraie, et avec toi, je trouve que cela vaut la peine de les dépasser. Et petit à petit, se trouver plus légère, épanouie, à prioriser l’autre sans avoir peur de lui. A lui laisser un peu de place dans sa vie, lui faire visiter son parterre de fleurs, et lui rappeler sans lui fermer définitivement les portes, qu’on aimerait qu’il prenne soin de toute la valeur que l’on s’est forgée.
Les orgueilleuses, si elles regardent assez longtemps, sauront également voir assez de beauté chez une autre pour que cela vaille la peine d’aussi la préserver. L’orgueil va désenfler.
Les orgueilleuses qui essaient et ne renoncent jamais à laisser aux autres un peu de place, trouveront la leur. Un abri confortable qui jamais ne leur sera enlevé et un beau jardin ouvert aux invités.
Leur pudeur puissante cache un amour artisanal cousu main, maintes fois reprisé. Cela leur est difficile et éprouvant tant elles ont fait monstres ce qui pourrait leur palais intérieur. Mais ces gestes simples qu’elles apprennent pour baisser leurs remparts et accepter de prendre le risque de s’approcher de ce qui peut les blesser, sont des failles qui, dansant sous la lumière, révèlent le plus beau d’elles.

Photographie de David Gomes provenant de Pexels

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