Les chroniques,  Pêle-mêle

Les questions que pose #3 La mode

La tenue vestimentaire que l’on choisit n’est-elle qu’un besoin social extrêmement superflu ?

La mode porte très souvent les accusations suivantes : la superficialité voire le faux. En premier lieu, porter un vêtement certes, est utile pour se couvrir mais le choix de celui ci peut porter d’autres informations.

J’en connais qui expriment l’idée que les vêtements sont exclusivement utilitaires et pratiques et que tout autre usage que l’on leur porte serait inventé et superflu. Je répondrais à cela que le vêtement est aujourd’hui également coloré, dans notre culture occidentale, de différentes informations en lien avec son image sociale et son identité. Notre tenue vestimentaire ne donne à voir toutefois qu’une facette de nous. Nos choix de matières, de coupes, d’associations, d’accessoires ou de motifs sont autant de codes qui, aux yeux des personnes qui nous rencontrent, permettent de nous classer dans certaines catégories sociales ou de formuler plus ou moins intérieurement certaines hypothèses sur le reste de notre identité.

Ce n’est qu’un élément de notre identité, pouvant donner des indices, parfois mal interprétés, sur notre personnalité. Nous ne pouvons pas réduire une personne à son image. Les vêtements que l’on porte une journée, une soirée, ne sont d’ailleurs qu’une proposition ponctuelle, une image de soi parmi les autres, puisque l’on ne présente pas en rencontrant quelqu’un un carnet exhaustif de sa garde-robe. On s’amuserait ainsi, dans mon imaginaire, pour approfondir notre connaissance d’une personne par son image à coller des petites photo Polaroïd dans son carnet de voyage : la tenue qu’elle portait à la fête de Fifi, la tenue du dimanche quand il pleuvait, la tenue de quand je l’ai croisée à la boulangerie … Pour trouver quel tout pourrait former ces multiples indices vestimentaires. Pas très spontané, et même si nous le faisions, nous aurions une connaissance exhaustive à un moment donné des apparences que peut se donner une personne. Pas de la personne elle même.

Les vêtements peuvent proposer une version de nous, chaque tenue faisant émaner quelque chose de nous. Le souhait de porter une couleur, une expression imprimée, ou de ne pas accorder d’importance à son style sont autant de choix ou de non-choix qui s’expriment par nos vêtements. En effet, ce que cela dit de nous est « Voici mon rapport aux vêtements ». Quand nous rencontrons une personne, nos attitudes, expressions et comportements seront perçus comme une entièreté conçue par les autres et interprétées en intégrant également cet élément : tenue vestimentaire.

Peut-on l’accuser d’aller plus loin que l’inutilité pour en devenir même une image menteuse, un trompeur artifice que l’on tente de faire avaler aux autres ?

Si le vêtement est un moyen d’expression de son identité, l’expression n’en est pas toujours parfaitement authentique. On peut souhaiter renvoyer une image en particulier, même si celle ci ne correspond pas tout à fait à notre personnalité. Mais est-ce nécessairement une usurpation de porter le tee-shirt d’un groupe de rock que l’on méconnait complètement ? Ou cela exprime-t-il justement notre volonté de renvoyer cette image ?

Il est là l’exercice difficile qui consiste à « faire parler son esprit à travers le tissu, se définir à travers le vêtement, sans être réduit à sa parure ? » (« Pourquoi la philo de la mode est-elle si peu stylée ? » Le Journal de la philo par Géraldine Mosna-Savoye paru le 01/10/2019 pour France Culture, que vous pouvez retrouver ici.) Choisit-on de faire parler son cœur, son âme, ses peurs lorsque l’on regarde l’effet de ce jean sur la forme de nos fesses (trop rondes et dans ce cas, il faudra éviter les poches à cet endroit du jean dixit Christina), ou encore son intellect quand on choisit de porter un vêtement ?

Choisir ses vêtements pourrait simplement être une question de goût. C’est là qu’intervient le diable le plus glamour du monde : la mode. Si choisir ses vêtements peut se faire sans se soucier des tendances arbitraires incluant ou excluant les suiveur.euse.s de ce cercle très privilégié, et de toutes les connotations associées, le vêtement serait simplement une affaire pratique et plaisante, affaire classée. Cependant, même lorsque l’on a souhaité s’affranchir de ces codes fluctuants qui pèsent sur notre libre-arbitre, nos goûts peuvent tout de même émaner d’un certain déterminisme. Mais peut-on réellement considérer que l’on se ment si l’on ignore se mentir ? A t-on choisi cette barrette, ces chaussures, ce short aussi innocemment, aussi indépendamment des connotations associées, dans une société où l’on ne peut les méconnaître toutes ?

En effet, pour les aventuriers du style, je prônerais volontiers pour ma part, un certain lâcher prise et une intuition, nécessaires à la créativité – celle-ci qui se noierait sans délais dans une intellectualisation trop exacerbée. D’ailleurs on peut craquer ou flasher sur un vêtement, avant d’en analyser les codes et créer avec lui une relation instinctive. Mais, est-il juste de dire que cette version plus spontanée et pulsionnelle de nous serait « plus nous » que notre nous intellectuel ?

Ce que nous portons et ne portons pas est à la fois moyen d’appartenir à un groupe social et d’affirmer sa singularité. Ces deux conceptions ne sont pas nécessairement opposées. Je les perçois plutôt comme un va et vient incessant, action continue par laquelle on s’ajuste sans cesse dans la recherche d’un équilibre. C’est en imitant et en se distinguant que l’on définit son identité, bien au delà du style vestimentaire.

Essayer n’est pas nécessairement mentir, c’est aussi la possibilité de s’aventurer d’explorer, et de redéfinir à un moment ce qui peut nous correspondre ou non.

Le besoin de se construire une histoire vestimentaire identitaire peut être une expérimentation plaisante, un jeu avec les images de soi. Elle devient déni et devient mensonge, lorsque trop de possibilités nous sont par avance court-circuitées par une médiatisation lourde de valeurs dangereuses qui nous empêche de réellement réinventer notre rapport aux vêtements, à la mode et au style.

De l’esclavagisme de la mode à la liberté

Par imitation, nous adoptons un style. Pour être inclu.e.s dans certains groupes et gagner en légitimité sur certains plans, nous sommes prêt.e.s à adopter une mini-jupe, passer des bottines aux baskets, porter une nouvelle marque et racheter selon les tendances de la saison suivante ce dont nous n’avons peut être ni besoin, certes … ni même envie. Si penser au choix d’une tenue plutôt que d’une autre peut s’avérer trop superficiel pour certain.e.s, je dirais que c’est plutôt une considération du vêtement plutôt qu’une autre qui peut s’avérer superficielle. Car ces considérations ne sont pas sans conséquences. Et prendre conscience des impacts me parait enrichissant.

Il y a indéniablement un esclavagisme de la mode. Il est lié à la fois à une conception capitaliste, à la rentabilité, à une injonction de surconsommation. Il est lié à la fois à un désastre écologique sans précédent auquel nous préférons le déni, en sortant de chez H&M et de chez Zara sans vouloir se questionner une seconde sur les conditions dans lesquelles ces vêtements ont été produits. Il y a une lobotomisation des cerveaux pour quelques bouts de chiffon tissés, tressés ou assemblés, pour un logo brodé qui nous permettra de manger à la table de ceux qui arborent le même sur leur chemise.

La réelle superficialité, la réelle inconscience se trouve là où l’on préfère ignorer les valeurs pour choisir d’afficher un paraître inauthentique.

L’esclavagisme se trouve aussi dans les armatures de soutient-gorge, les tu peux pas porter ça, ou cette robe ne te grossirait pas un peu ?, chez les gens qui pensent encore que la longueur de la jupe peut justifier d’une agression sexuelle, ou qu’un décolleté pour des seins de bonnet D c’est vraiment indécent. C’est le sac Reine des neiges que voulait le petit garçon pour son anniversaire et qu’il n’a pas eu parce que c’est pour les filles, on va se moquer de toi, c’est aussi le jeune de 14 ans à qui l’on enfonce la tête dans les toilettes parce qu’il porte encore un pantalon à motifs de Snoopy, retourne chez ta mère.

Son look, son style, en cela, peut incarner un message fort et important. Il peut s’avérer bien plus engagé et bien plus profond qu’on ne pourrait considérer les fringues, dans une conception superficielle.

Le vêtement semble être devenu le nouvel habit de la revendication.

La mode est-elle féministe ? Article du 8/30/2018, consultable ici.

Nos choix de vêtements sont un message que nous affichons partout où nous allions. Ils résultent d’une esthétique, d’une fantaisie, d’une construction de notre identité, de nos valeurs, de notre soucis écologique, de la capacité que nous avons de créer dans le réel et d’inspirer autour de nous, notre considération idéale d’une société de personnes libres et authentiques. Ces choix peuvent porter des messages, puisqu’ils émanent de convictions fortes.

La manière dont nous nous vêtons, cette apparence, cette fresque sur soi ou de soi affichée aux autres peut être un formidable espace d’expression libre de nos engagement et une réinvention de nos manières de penser.

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